
Le barrage était signalé par les automobilistes par un coup de phare et El Fartas le clandestin pouvait garer sur le talus en attendant l'usager de la route qui lui signalerait le départ des gendarmes par un large "non" effectué par les balais d'essuie-glaces...
Mais même en ces temps là, les gendarmes qui étaient débonnaires savaient se faire roublards... Et un jour, ils nous dressèrent une embuscade ou si vous voulez, un faux barrage au détour du grand virage de la maison cantonnière... Au geste du gendarme qui lui dit de serrer à droite, El Fartas ne put qu'obtempérer en pompant énergiquement sur la pédale car le satané servo-frein avait lâché depuis quelques mois et il n'avait pu le réparer car même usé, il coûtait une petite fortune au souk de la casse de Sidi Aissa...
El Fartas ouvrit la portière, la vitre ne descendant pas, et le gendarme lui demanda les papiers et l'informa qu'il allait le verbaliser pour "conduite gênée" car il transportait sans en avoir le droit, 3 passagers à l'avant...
En dressant son PV, le représentant de l'ordre crut entendre un toussotement venant de sous la bâche... Il voulut en avoir le coeur net et la souleva, la première image qu'il aperçut, ce fut la face de lune de Aissa Ettobsi puis il nous vit, entassés pèle mêle, nous regardant en silence en nous triturant les doigts... Quand il nous fit descendre l'un après l'autre après qu'El Fartas ait dénoué le fil de fer retenant la porte, il nous compta et découvrit que nous étions 18 à l'arrière sans compter les trois passagers de la cabine...
Il appela ses collègues et il y'eut un long conciliabule entre eux... Nous nous attendions au pire ! L'état de droit n'étant pas installé dans notre pays à l'époque, les gendarmes pouvaient user sans peur et sans reproches de leurs rangers. Mais il n'en fut rien... les hommes en vert en ces temps là, n'avaient pas de radars mais ils possédaient par contre beaucoup de bienveillance et d'humour...
Leur chef, tenant les papiers d'El Fartas dans les mains lui lança un défi.
-Montre nous seulement comment tu as fait pour mettre tout ce beau monde dans ton tacot et nous le laissons repartir lui dit-il...
On vit alors El Fartas refaire la délicate opération grâce à laquelle il avait réussi à nous entasser dans sa voiture... ce fut fait en un clin d'oeil !... les gendarmes n'en revinrent pas !... ils tinrent parole et nous autorisèrent à aller voir notre film... Quand El Fartas démarra et ouvrit la portière en roulant, et qu'il leva le bras pour leur faire un grand salut, ils étaient tous sur la chaussée, la main sous la casquette, à se gratter la tête devant sa performance...