lundi 4 février 2013

COMMENT SI EDDERADJI DEVINT SI EDDEDJI


Aux toutes premières années de l indépendance, faute d enseignants attitrés, on recruta des moniteurs (Moumerrinine). Ils venaient des écoles coraniques, la plus réputée étant celle d El Hamel. Ils n'avaient pour bagages que les versets coraniques qu ils avaient appris et un peu de grammaire et de conjugaison. Ils devaient toucher entre 250 et 300 da par mois, possédaient tous des bécanes et se faisaient un point d honneur à parler en arabe classique. Ils compensaient leur indigence didactique et pédagogique par un volontarisme exagéré et un grand zèle patriotique. La plupart d entre eux furent confirmés, "permanisés" et se retrouvèrent instituteurs, postes qu'ils occupèrent jusqu'à leur retraite. Parmi ces moniteurs, nous connûmes Si Edderradji... Il officiait à Wad Ezzawech, lieu dit situé derrière les collines qui limitent l'horizon, au nord-ouest de mon village... Wad Ezzawech a été doté d'une école avec une seule classe dans laquelle Si Edderradji faisait ce qu'il pouvait tous les jours, sauf le vendredi, jour de prière et le lundi, jour de marché. Si Edderradji devait "obligigatoirement" enseigner le programme public; c'est pour ça qu'il ne se contentait pas de faire répéter à longueur de temps les versets coraniques à ses élèves et devait, entre deux histoires de châtiment du tombeau et de lavement rituel des défunts, prodiguer quelques cours d'arithmétique, discipline qu'il exécrait car si pour l'addition et la soustraction ça pouvait aller, il n'en était pas de même pour la multiplication et sa table et la division et son quotient... Dans les premières années de l'indépendance c'était encore plus simple mais après quelques années on s'amusa au ministère à introduire une unité de compte nationale: le DEDJ qu'il fallait bien appliquer... Cette unité figurait dans le nouveau livre qu'il reçut de l'inspecteur qui l'avait convoqué au village, parce que c'est dans mon village, à la campagne que se faisait l'inspection de Si Edderradji, Monsieur l'Inspecteur n'allant quand même pas s'aventurer jusqu'à Wad Ezzawech... Quant bien des années plus tard, quelques élèves de Si Edderradji réussirent à rejoindre le collège, leurs copains de classe et leurs professeurs eurent la surprise de découvrir l'unité Dedj... Si Edderradji n'avait jamais compris et n'avait donc pas pu faire comprendre à ces élèves de Wad Ezzawech que DA (del - djim) qu'il prononçait "Dedj" signifiait "Dinar Algérien"... Cela lui valut de se faire surnommer Si Eddadji, sobriquet qu'il porte à ce jour. 

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