Aux toutes premières années de l indépendance, faute d
enseignants attitrés, on recruta des moniteurs (Moumerrinine). Ils venaient des
écoles coraniques, la plus réputée étant celle d El Hamel. Ils n'avaient pour
bagages que les versets coraniques qu ils avaient appris et un peu de grammaire
et de conjugaison. Ils devaient toucher entre 250 et 300 da par mois,
possédaient tous des bécanes et se faisaient un point d honneur à parler en
arabe classique. Ils compensaient leur indigence didactique et pédagogique par
un volontarisme exagéré et un grand zèle patriotique. La plupart d entre eux
furent confirmés, "permanisés" et se retrouvèrent instituteurs,
postes qu'ils occupèrent jusqu'à leur retraite. Parmi ces moniteurs, nous
connûmes Si Edderradji... Il officiait à Wad Ezzawech, lieu dit situé derrière
les collines qui limitent l'horizon, au nord-ouest de mon village... Wad
Ezzawech a été doté d'une école avec une seule classe dans laquelle Si
Edderradji faisait ce qu'il pouvait tous les jours, sauf le vendredi, jour de
prière et le lundi, jour de marché. Si Edderradji devait
"obligigatoirement" enseigner le programme public; c'est pour ça
qu'il ne se contentait pas de faire répéter à longueur de temps les versets
coraniques à ses élèves et devait, entre deux histoires de châtiment du tombeau
et de lavement rituel des défunts, prodiguer quelques cours d'arithmétique,
discipline qu'il exécrait car si pour l'addition et la soustraction ça pouvait
aller, il n'en était pas de même pour la multiplication et sa table et la
division et son quotient... Dans les premières années de l'indépendance c'était
encore plus simple mais après quelques années on s'amusa au ministère à
introduire une unité de compte nationale: le DEDJ qu'il fallait bien
appliquer... Cette unité figurait dans le nouveau livre qu'il reçut de
l'inspecteur qui l'avait convoqué au village, parce que c'est dans mon village,
à la campagne que se faisait l'inspection de Si Edderradji, Monsieur
l'Inspecteur n'allant quand même pas s'aventurer jusqu'à Wad Ezzawech... Quant
bien des années plus tard, quelques élèves de Si Edderradji réussirent à
rejoindre le collège, leurs copains de classe et leurs professeurs eurent la
surprise de découvrir l'unité Dedj... Si Edderradji n'avait jamais compris et
n'avait donc pas pu faire comprendre à ces élèves de Wad Ezzawech que DA (del -
djim) qu'il prononçait "Dedj" signifiait "Dinar
Algérien"... Cela lui valut de se faire surnommer Si Eddadji, sobriquet
qu'il porte à ce jour.
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