
Et si le chat noir ne leur dit rien, ils n'en est pas de même du lièvre et du chacal...
Mais le code est assez difficile à retenir...
Voir passer un lièvre le matin signifie un bon présage, le soir, un mauvais présage... ou le contraire... et c'est la même chose aussi pour le chacal... Ceux qui savent calculer les probabilités trouveront que l'on a ainsi huit possibilités par jour de rencontrer son bonheur ou son malheur...
Les choses sont si mélangées qu'on en arrive à interpréter toute rencontre à toute heure avec l'une de ces bêtes comme présage de bonheur...
Je me souviens de ce voyage en taxi avec notre inénarrable "El Bachir" (le nom est une simple coincidence dans l'histoire)... En montant les méandres de la route de Dra El Mizan, nous eûmes à voir passer un chacal et El Bachir retira les mains du volant, au risque de laisser sa 404 basculer dans le ravin, se les frotta de satisfaction et nous lança tout heureux: " n'har m'guerrez ya djeddkoum !" (intraduisible)...
Quelques kilomètres plus loin et c'est un autre chacal qui traversa la route et El Bachir se refrotta les mains en nous disant: "Yakhi Z'harr yakhi !"...
Arrivés à Dra El Mizan, il se rendit compte que son réservoir devait être à sec, depuis le temps qu'il avait fait son dernier plein (l'indicateur ne marchait pas)...
Nous descendîmes jusqu'à la station de la sortie nord de la ville... Les tuyaux étaient posés au dessus des volucompteurs et l'agent nous cria de loin, les mains en entonnoir devant sa bouche: "Yaou Oulache ! Oulache !"...
Nous revînmes vers la station du centre-ville... elle était fermée, le carburant de ses cuves épuisé...
Notre espoir résidait dans le résidu du fond de réservoir... S'il pouvait nous permettre d'atteindre le sommet de côte de Tizi Larbaa, on pourrait descendre au point mort jusqu'à la pompe d'Aomar, sinon...
Nous remontâmes la pente du retour en silence...
Arrivés à 2 km du sommet de côte, la voiture fit quelques embardées puis s'arrêta...
Nous dûmes la pousser sur les deux kilomètres restants sur une route à 45 degrés de déclivité... et tout le monde connait le poids de la 404...
Quand nous arrivâmes au sommet de côte, Mahfoud qui était de l'équipée, entre deux souffles rauques, la langue par terre et la chemise mouillée de sueur eut ces mots à l'adresse d'El Bachir qui était devenu plus noir que nature (El Bachir n'était pas brun de peau):
"Yenaal bou yemmat edhiaba !" (maudit soit le père de la mère des chacals)
En redescendant la pente dans le silence du crépuscule que ne troublait même pas le bruit du moteur, le visage qui était pensif d'El Bachir s'éclaira brusquement et on l'aurait entendu crier "Eureka" s'il avait connu Archimède.
Il tenait l'explication de ce qui nous arrivait:
" J'avais oublié, nous dit-il que la rencontre du chacal est un bon présage quand elle s'effectue avant la prière du Dh'hor, pas après celle d'El Asr !"
En rejoignant ce matin le boulot, j'ai pour ma part, rencontré ce chacal...
Il est évident que le mauvais présage pour cette pauvre bête s'est matérialisé, que ce soit avant la prière de l'Icha ou après celle du Fadjr par sa rencontre avec un bipède véhiculé...