
En descendant de la montagne, il avait pris l’habitude de se
faire précéder de son chien Birnar (il avait trouvé en l’acheteur de grives un
nom providentiel). C’était un bâtard mais qui avait du caractère, de longs
poils et qui lui témoignait d’une fidélité à toute épreuve. Sa compagnie lui
permettait de se sentir moins seul mais aussi de lui parler de ses impressions,
de la pluie et du beau temps et surtout, de son voisin Amar Boussendara avec
lequel les problèmes de bornage des
champs ne finissaient jamais.
Un jour qu’il était descendu au village pour moudre deux
aunes d’orge au moulin d’El Hadj Ali, il fut interpellé par Edouard Catala, le
gros colon qui disposait de la plupart des bonnes terres de la région. Il
portait comme à son habitude son chapeau de feutre et son gilet sur lequel
pendouillait la chaine argentée de sa grosse montre de poche…
-
Sbah el khir Kournafa lui dit-il.
-
Boujour M’siou Douar lui répondit Saad
-
Tu as un beau chien, Kournafa, j’ai
perdu le mien hier… et si tu me le vendais ?
-
Awah a Msiou Douar, demande les yeux , je vends, mais le chien je vends pas…
-je
te donne 2 aunes de pois-chiches si tu acceptes
-par
Dieu, même loukane tu donnes le Ferkissou, je
donne pas le chien (le colon possédait un tracteur à chenille, un Massey
Fergusson que tous les autochtones appelaient « el ferkissou »)… Mais
si tu veux, je ramène un petit chien-loup
lundi quand je viens au
marché, je change pour seulement 10
kg de fèves, si tu veux bien sûr !…
- va pour le chien-loup ! lui
répondit Edouard Catala, mais ce sera 5 kg de fèves, à prendre ou à
laisser !
Le lundi d’après, on vit Saad el Kournafa, arriver avec
son âne et son chien… il tenait un panier de doum aux anses attachées par une
ficelle et d’où sortait un petit museau
espiègle…
Edouard Catala qui était devant la poste avec Madame Trident,
la postière, alla à la rencontre du montagnard et celui-ci lui remit le
couffin…
- c’est ça ton chien-loup ?
- Oui M’sieu, donnez du lait, il devient vite gros
comme mon âne
- on verra bien répondit Edouard en se dirigeant vers sa maison, de l’autre côté de la place,
et en faisant un clin d’œil à Mme Trident…
- J’en ferai une arme efficace contre les arabes
lui-dit il…
-et mes fèves M’sieu Douar ?...
- Tes fèves, tu attendras la récolte lui répondit
Edouard Catala
- Yennaal slaltek ! lui lança Saad El Kournafa
- Qu’est ce que tu dis ? répliqua Edouard
- rien ! j’ai dit merci, lui dit Saad El Kournafa
…
Quelques mois passèrent… le petit chacal grandit très vite
sous la très bonne attention qui lui était réservée… un jour, sachant qu’il
était apte à retourner à sa vie de liberté là haut, à Chaabet el Halloufa d’où
Saad El Kournafa l’avait retiré d’entre ses frères, il attendit que la
maitresse de maison lui ramène sa pâtée journalière pour lui planter ses crocs
dans son gros mollet rose et nu et s’enfuir en la laissant crier comme une
truie, faisant accourir son vieux mari essoufflé qui la trouva affalée près de
la niche désertée par le chien-loup…
Le lundi suivant, quand Monsieur Edouard rencontra Saad El
Kournafa, il le prit à partie devant tout le monde en lui imputant la
mésaventure de sa femme avec ce mauvais
chien, « aussi ingrat et traitre qu’un arabe » …
-Non Msieu Douar lui répondit Saad, les « arabes » ils
n’ont rien à voir avec les chiens… le chien-loup, il s’est sauvé et il a
« mangé » ta femme pour te faire payer ta promesse de cinq kilo de
fèves que tu n’as pas tenue !
Les « arabes » qui savent que le chacal ne
s’apprivoise pas rirent de bon cœur du tour que El Kounafa avait joué à
Edouard… il y gagna même un nom qui le suivit jusqu’à sa mort : Boudhiaba.
et si on osait mettre ce texte dans un manuel scolaire?
RépondreSupprimeravec bien sur le nom scientifique de la kournafa
je retrouve ma tendre enfance des années (56 et plus) Monsieur adjou me redonne le sourire et la joie, a travers ses écritures .
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