dimanche 3 mars 2013

MARWANE BOUSRIOUILA ET LES VENDANGEURS




Dans mon village, à la campagne, nous comptons des hommes qui ont marqué l’Histoire… Marwane Bousriouila en fait partie.

Quand l’indépendance du pays fut acquise et que les colons quittèrent les fermes et les plantations, l’Etat Algérien naissant n’avait pas d’autre alternative que celle d’organiser les paysans en « comités de gestion » pour prendre en charge le travail des champs.
Notre région, comme beaucoup d’autres était plantée en ces temps là en raisin de cuve ;  et les vignobles couraient tous nos coteaux en parfaites lignes droites.
Comme il fallait bien vendanger et traiter tout ce raisin, le comité de gestion recruta des saisonniers et l’opération se déroula dans de relatives bonnes conditions car, nouvellement libres, nous n’avions pas encore acquis les réflexes de totale indépendance pour manifester comme aujourd’hui notre refus de l’autorité et de la hiérarchie à chaque ordre que nous recevons.
En ces temps là, Marwane Bousriouila avait réussit à se débrouiller une 203 noire sur laquelle il s’amusait à faire comme les français puisqu’il se considérait depuis le 5 juillet comme un citoyen à part entière et même un peu plus car on avait arraché notre indépendance de haute lutte se disait-il et non en la quémandant.
Il s’était débrouillé un chapeau de brousse et c’est en short, en chemise fleurie et en lunettes noires qu’il traversait le village pour aller vadrouiller du côté des vastes étendues de Beni Slimane ou des vergers de Cap Djinet et des plages de Zemmouri où il pouvait impressionner un peu les gens qui ne savaient pas que chez lui on le surnommait  Bousriouila car il n’arrivait jamais à retenir convenablement son pantalon.
Un jour, du côté de Bordj Ménaiel, il descendit de voiture pour se soulager derrière un buisson… Une équipe de vendangeurs était à l’œuvre dans le vignoble du champ bordant la route… L’un des vendangeurs le prenant pour un chapardeur courut vers lui pour lui signifier que ce n’est pas parce que nous étions devenus indépendants qu’il fallait prendre toute propriété pour du beylik…
Quand il le vit de près il s’arrêta, impressionné par ses lunettes noires et son chapeau de brousse…
Marwane Bousriouila calcula immédiatement tout le profit qu’il pouvait tirer de la situation.
Sans salutation ni préambule, il prit un l’air officiel d’un représentant du parti et lui dit :
- Chkoun echiff n’taakoum ?  (lequel d’entre vous est le chef ?)
- maandnech echiff ! (nous n’avons pas de chef !) lui répondit le vendangeur d’une voix mal assurée
- chkoun smah’elkoum t’gaat3ou el 3neb ? (qui vous a permis de couper le raisin ?)
- el brizidène, Karfass Benzitoun ! (le Président Karfass Benzitoun!)
- ch’hal fih eddigri ? (à quel degré est-il arrivé ?)
- ma 3labalich ! (je ne sais pas !)
Feignant une grosse colère Marwane Bousriouila le réprimanda de manière très sèche :
- Djabelkoum Rabbi listik’lal fawdha ! (vous croyez qu’indépendance signifie anarchie !) lui cria t’il en ajoutant : Vous osez récolter un raisin qui n’a pas été analysé pour voir combien il a de degrés ?
- …
-Allez roh’ tistwitt djibli kazi n’roh n’3ayrou fel wizara ou goul les’habek irouhou eldarhoum hatta toukhroudj ennatidja! (Allez va tout de suite me ramener un casier pour que j’aille l’analyser au laboratoire du ministère et dis à tes collègues de rentrer chez eux fissa et de ne revenir que quand on vous ramènera les analyses !)
Le vendangeur s’exécuta en saluant et en faisant une marche arrière qui faillit le faire tomber sur les orties des bords du vignoble puis s’éloigna en courant maladroitement entre deux rangées de vigne en retenant d’un main son chapeau de doum.
Il revint peu après avec un de ses collègues portant chacun un casier de bon raisin que Marwane Bousriouila leur dit de déposer dans la malle déjà ouverte de sa 203 noire.
- Goulna robbama wahed ma yekfich (on s’est dit peut-être qu’un casier pourrait ne pas suffire) expliquèrent –ils le second casier…
Grand seigneur Marwane Bousriouila répondit avec une pointe de dérision :
-ghadi naklou wall ! (vous pensez que je vais le manger ou quoi ?)
Il monta dans sa voiture et rentra, non sans laisser aux vendangeurs sa carte de visite : une carte à tête de fennec qui trainait sur la banquette et qui s’était détachée d’un sac d’engrais auquel elle était liée par un oeillet … 

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