lundi 26 septembre 2011

LE FLOTTEUR QUI EMERVEILLA ZAITOUT

Dans mon village à la campagne, nous sommes tous des hommes de bonne technicité… Nous ne sommes pas seulement bricoleurs, nous savons gratter la terre et semer, faire nos habits nous-mêmes et prendre la truelle en main comme l’écrivait à peu près un poète(1) de nos années enculottées… Pas que nous soyons amateurs d’efforts mais juste parce que nous refusons de payer autrui pour des tâches que nous pouvons faire nous-mêmes… Et c’est ainsi qu’on peut nous trouver en tout temps avec un outil à la main : des tenailles pour refaire les fils qui supportent nos treilles, un marteau pour enfoncer les clous rouillés dans des madriers vermoulus, une paire de ciseaux à tondre pour réduire la tignasse folle de nos bambins, une clé à molette pour pester contre les écrous qui foirent à force de les forcer à s’enlever dans le sens du serrage, une cuiller pour honorer un plat de couscous…

Miloud El Kommissar, en parfait villageois, avait bien plus de raisons que tout le monde de se mettre à la mécanique…

Sa vieille quatrelle était si déglinguée qu’aucun vrai mécanicien ne pouvait consentir à la réparer et puis, Miloud avait autre chose à faire de son argent que d’augmenter la richesse de Rachid Elfilbrouka qui, Allah izidlou (Dieu lui en rajoute), a réussi à donner un premier étage à sa maison et à s’acheter un semi-remorque qu’il loue à l’usine d’en haut… d’aucuns disent même qu’il en possède deux – Allah izidlou! - et qu’il serait associé avec un vendeur de pièces détachées à Boudouaou ! et grâce à quoi ? l’argent des malheureux villageois qui réparent leurs voitures chez lui !...

Miloud El Kommissar n’irait pas jusqu’à ajouter son eau à la mer… et surtout pas à la fortune de cette fripouille, Allah izidlou, qui hier seulement devait vendre des figues pour survivre et qui possède aujourd’hui, Allah izidlou, outre ses camions et ses commerces, une peugeot 204 et une Passat bleue qu’il ne sort que le vendredi soir…

Miloud El Kommissar a appris tout seul la mécanique de sa voiture. Il sait démonter et remonter un cardan et Tahar El Ftissa, le tôlier, lui a même appris comment se débarrasser à vie du croisillon à aiguilles en le remplaçant par de simples morceaux de tuyau de quelque vieux pied de chaise métallique… Il sait aussi régler les « fis platini », trouver la bonne place au « delkou », souder une « chatma », réparer le « bondisk » récalcitrant du démarreur ou refaire les charbons minuscules du moteur à essuie-glaces… Depuis qu’il a acheté sa quatrelle, Miloud El Kommissar a abandonné le domino… On ne peut pas être au four et au moulin !... Les affaires mécaniques étant plus importantes que tout le reste, Miloud El Kommissar ne passe plus son temps que sous sa quatrelle et les quatrelles de ses amis car il a acquis la réputation d’en être un spécialiste tout comme Amar Peugeot est réputé spécialiste des 404…

Il se fait aider de Slimane Zaitout, un agent d’entretien de la commune qui est toujours libre à partir de 10 H 30, le ramassage des ordures s’effectuant depuis l’aube.

Slimane Zaitout était très curieux et c’est doctement que Miloud El Kommissar lui expliquait les principes de fonctionnement des organes qu’il devait traiter… Il ne perdit patience qu’une seule fois, quand Slimane Zaitout essaya de comprendre ce qui pouvait bien se tramer dans la dynamo pour qu’elle donne si dispendieusement de l’electricité à toutes les lampes. Miloud El Kommissar eut un geste de lassitude et lui répondit avec un énervement qu’il ne lui connaissait pas : « khallina men djed yemmah ! » (laisse tomber le grand-père de sa mère !)… Slimane Zaitout n’insista pas car il devinait que l’explication serait fastidieuse…

Un jour la panne atteignit le carburateur. Le moteur s’éteignait tout seul et l’essence dégoulinait à grosses gouttes et mouillait l’échappement au risque de brûler la voiture…

Miloud El Kommissar démonta tout le système de carburation sous l’œil curieux de Slimana Zaitout…

Il en retira les « gicleurs » qu’il nettoya en les curant avec un fil de fer fin et en soufflant dedans puis il retira le filtre qu’il trouva plein de saletés et qu’il remit en place après l’en avoir débarrassé…

Il espliquait au fur et à mesure l’utilité de ces pièces, leur principe de fonctionnement et la théarapie qu’il leur administrait à un Slimane Zaitout studieux comme un écolier d’avant Benbouzid et les syndicats autonomes…

Quand il arriva au flotteur, Slimane était estomaqué par tout ce génie humain contenu dans un aussi petit organe…

Miloud El Kommissar expliqua comment se soulevait le flotteur sous l’effet de l’arrivée de l’essence et comment il poussait le petit opercule qui fermait l’accès au carburant puis comment en descendant il permettait à cet opercule de s’ouvrir à nouveau sans être actionné par une quelconque main ou intelligence humaine…

Etonné par ce petit flotteur qui, perdu dans le moteur, faisait tout seul et sans discontinuer tout ce travail, Slimane Zaitout, les yeux brillant d’émerveillement eut alors ces mots :

N’Goullek ya El Miloud… hadha el floutour aandi khir men myat moustafid (2) (Tu veux que je te dise Miloud, pour moi ce flotteur vaut mieux que 100 « bénéficiaires » !)

1- Sully Prudhomme : « un songe »

C’était l’époque de la restructuration des domaines autogérés et des cooperatives de la Révolution Agraire en EAI et EAC. Les exploitants qui jouaient aux latifundistes au lieu de continuer à faire les paysans étaient appelés « moustafidines » devenant sujets de moquerie du petit peuple.

dimanche 18 septembre 2011

SAAD ET LE SERPENT

Dans mon village à la campagne, hier, après la prière du Asr, il y’avait foule devant l’abreuvoir municipal, relique du temps banni des colonies et qui, depuis longtemps à sec, trône quand même toujours à la place publique… C’est Ahmed Francis, faux à herbe sur l’épaule qui était l’objet de l’attraction… pas lui, mais le grand serpent qu’il avait ramené de Zebboudj Djemaa où il fauchait les blés…

Un serpent d’une belle taille !

Il l’avait tué sans trop l’amocher et il l’avait ramené, non pas comme un trophée de chasse car Ahmed Francis a tué bien des serpents sans se prendre pour un Tartarin de Tarascon …

Le secret de cette exhibition résidait ailleurs.

Et c’est quand Moh Galoufa et Salem El Hantla mandés en secret par Ahmed pour ramener Saad Boukerche apparurent du côté de la cave, transportant littéralement le pauvre bougre qu’on comprit pourquoi Ahmed Francis avait ramené son insolite trophée de chasse sur la place…

Le malheureux Saad trop court pour les tailles des deux gorilles, touchait à peine le sol de ses pieds et courait alors qu’ils marchaient… il n’avait pas du tout envie de voir le serpent, même mort et suppliait qu’on lui évitât ce supplice…

Mais le rituel était trop important pour qu’on lui eût permis de se défiler…

Arrivés devant le cercle formé autour du reptile, on introduisit Saad qui, tout tremblant, lança vers la bête son bras tendu d’un index frétillant : c’est lui ! wallah c’est lui !

La foule eut un murmure de soulagement.

Tous les serpents se ressemblant, on ne sut comment Saad venait de reconnaître celui qui lui avait lacéré le doigt, l’obligeant à faire un séjour en hôpital et à se farcir des piqures antitétaniques…

Cela s’est passé en mai passé ; alors qu’il fauchait les herbes des talus du côté de Zebboudj Djemaa, le serpent lui avait happé l’index de la Chahada. Il réussit à le dégager de sa gueule mais ses crocs l’avait lacéré jusqu’à l’os. Tenant sa main ensanglantée, il était venu en courant vers le village et s’était évanoui dans la voiture de Kader El Fartass, le clandestin, qui l’avait conduit à l’hôpital…

Depuis, Saad n’osait plus sortir de chez lui… Le vieux El Khawni Slimane lui avait dit qu’un serpent qui a goûté au sang d’un homme le retrouve toujours car la tentation d’en gouter encore devenait irrésistible pour lui…

Et Saad savait qu’il ne se libérerait de l’angoisse de cette poursuite infernale que le jour où il verrait ce satané serpent mort…

Le village qui ne pouvait mettre en doute le savoir du vieux El Khawni Slimane avait implicitement lancé le mot d’ordre de « mort au serpent » pour sortir Saad de son calvaire…

Soulagée, la foule s’est dispersée laissant le serpent aux enfants.

Moh Galoufa, Salem El Hantla, Ahmed Franis et Saad arrosèrent l’heureux dénouement de la tragédie par des Ben-Haroun fraiches. Moh Galoufa qui voulait payer la tournée se fit rabrouer par Said Ruisseau, le cafetier, qui, portant sa main à sa poitrine lui dit : « hadhi men aandi ! »

En prenant bien soin que les clients du café l’entendent et en prennent acte !

KACI BOUNIF DECOUVRE UN GISEMENT D'OR NOIR

Dans mon village, à la campagne, nous avons failli devenir des texans… C'est en effet en creusant les fondations de ce qui va devenir dans quelques années notre bibliothèque communale que Kaci Bounif - travailleur occasionnel parmi tant d'autres - fît une découverte qui faillit bouleverser l'économie de toute la région.

Il le sentait venir depuis quelques jours (et pour cause !) mais il ne voulait pas le croire… mais là, il en était convaincu... oui... il avait découvert sous ses pieds une nappe de pétrole !

C’est par une sorte d’immense eureka que Kaci annonça la nouvelle au contremaître qui surveillait les travaux de sous son chapeau de paille. Du fond de son trou, il bégayait en portant fébrilement une motte de terre luisante à son nez…

En moins de temps qu’il n’en faut pour le crier sous le premier toit, le village eut vent de l'affaire et ce fut un déferlement de villageois de tous âges qui entoura la fosse au fond de laquelle il officiait de la pioche et de la pelle... Il s'exprima alors avec la modestie et l'humilité qui vont avec les hommes des grandes découvertes: " Je ne suis pas « génieur » dit-il à la populace émerveillée... je ne suis qu'un creuseur de fondations... et c'est en creusant que j'ai découvert le pétrole... au début je doutais un peu mais au fur et à mesure que je m'enfonçais j'avais la conviction que j'allais faire cette trouvaille..."

Tahar N'Amar à qui rien n’échappait des pulsations villageoises et qui faisait autorité par son âge et sa vivacité vint en courant dans son pantalon arabe et son sempiternel gilet bleu élimé... la masse humaine qui entourait la fosse lui libéra le passage par déférence et Kaci, du fond de son trou, recommença sa litanie : "ya ammi Tahar, je ne suis ni savant ni génieur...". Tahar N'Amar l'invita à lui remettre une grosse motte de terre imbibée de pétrole non sans avoir sèchement rabroué l'hilare Saïd Hamoud qui osait fumer dans pareille condition… Ce dernier, conscient de la gravité de son geste jeta le mégot par terre sans se rendre compte qu’il avait failli commettre l’irréparable. Heureusement que Saad El Modjrab avait le pied à portée du mégot, ce qui lui permit de l’éteindre, en se vrillant la temps de son index, pour lui signifier son inconscience. Tahar N’Amar ordonna au contremaitre d’arrêter illico tous les travaux ; il prit la motte et de son pas pressé, descendit vers la place publique où il avait garé sa Simca 60 au sommet d’une petite côte car elle ne démarrait plus à la clé. Il s'était senti le devoir d'informer la gendarmerie dont la brigade se trouvait à 10 km.

Quand il revint de chez les hommes verts, il trouva les villageois dissertant sur les bienfaits mais aussi les malheurs qu'allait connaître leur village par l'effet de la découverte de Kaci.

Tahar N'Amar ne descendit pas avec le V de la victoire qu'il ne connaissait d’ailleurs pas. Mais à sa mine fière on sut qu'il avait accompli sa mission... Les gendarmes allaient venir dresser le « procès barbare » dit-il avec fierté, autorité et conviction aux villageois…

Les vieux sont des rabat-joie et tout le monde le sait... El Khawni Slimane à qui rien n’avait échappé de l’effervescence villageoise, l’œil espiègle, vint refroidir l’enthousiasme en disant à peu près ceci:

"ya l'm'ssakher !... n’touma oudjou’h el miziria machi oudjou’h el pétrole ! il n'y a pas plus de pétrole au stade que d'or dans ghar edhiba... ce que vous sentez n’est que l'odeur des carburants infiltrés sous terre car c'est là que les entreposaient les militaires français durant la guerre."

Une terrible désillusion s’abattit alors sur le village mais comme d’habitude, la déception collective fut vite transformée en dérision. Kaci qui fut surnommé « Sonatrach » perdit de sa superbe et finit par abandonner son poste pour aller travailler du côté de Boumerdes d’où il ne rentrait que tard, la nuit. Tahar N’Amar devait se faire aux quolibets perfides à chaque fois qu’il passait sur sa Simca 60… C’est bien sûr Said Hamoud qui eut la côte. Quand il jetait sa cigarette après usage, il ne manquait plus de l’écraser rageusement, imitant le geste de Saad El Modjrab, sous les rires du village…

Notre village dut se résigner à reporter à une autre occasion sa chance de connaître le développement qu’il n’espérait même pas mais la découverte de Kaci l’imprégna pour quelques jours d’une succulente fraicheur …

OUEDJ'H ECHARR

Dans mon village, à la campagne, c’est la consternation.

Mouloud El Postier, figure emblématique de toute la région est mort. La nouvelle est tombée comme la foudre… Le village ne s’était pas encore remis de la brutale disparition de Said Bouzid le chauffeur du semi-remorque bleu de l’usine, qu’il a dû se résigner à se séparer d’un autre de ses enfants. C’est vrai que la mort ne demande pas l’avis des villageois pour jeter son dévolu sur sa proie mais si nous avons accepté celle de Said Bouzid, terrassé depuis 15 jours par une méchante tumeur, il n’en était pas de même pour Mouloud qui rayonnait de santé et de présence.

Said Timbou le fou nous avait pourtant prévenus… « cette fois-ci elle frappera quatre fois » n’arrêtait-il pas de crier le long des chemins. Il visait toujours juste, Timbou le fou et n’annonçait que les tragiques visites de la faucheuse, au point que tout le monde l’appelait « Ouedj’h Echarr ».

Mouloud le Postier, elle l’a attendu au détour d’un virage du côté de Bordj Bou Arréridj… Le camion qui percuta la voiture dans laquelle il occupait la place du mort ne lui laissa aucune chance. Si, tout de même !... Celle de faire sa profession de foi.

Le cortège nuptial dans lequel il se trouvait, continua sans lui… et ce n’est que le lendemain qu’on put procéder à la levée du corps qui nous fut ramené afin que nous l’emmenions reposer parmi les siens au cimetière de sa tribu.

Au cimetière, durant l’enterrement, Said Hamoud, le planton retraité de la mairie apercevant Said Timbou le Fou, osa ironiser malgré la solennité des lieux et du moment : … « Cette fois-ci « Ouedj’h Echarr » a tiré une rafale, 3 balles sont parties à côté ! »…

Le rituel de l’enterrement accompli, nous retournâmes au village. En passant par Ain El Bagra nous aperçûmes un attroupement devant la demeure des Morhani… Le fils, sa mère et sa femme qu’il venait d’épouser depuis à peine 10 jours venaient de périr dans un accident de la route. Leur voiture faisait partie du cortège nuptial d’un lointain parent de derrière la montagne…

Au fou hilare qui saluait de son chapeau de paille notre cortège funèbre en ricanant, Said Hamoud lança rageur : « Tu peux ricaner ya Ouedj’h Echarr !... ton compte est bon ! »

LA GRAND MERE PERDUE

Dans mon village, à la campagne, et jusqu’aux années 70, tout le monde avait trois grand-mères…

Il y’avait bien-sûr celle que le père détestait, celle avec laquelle la mère ne s’entendait jamais et une troisième… très sympathique, peu encombrante et qui ne prétendait à aucune possession physique ou matérielle à la maison…

Elle venait d’ailleurs très rarement et ne tenait jamais de conciliabules avec l’un des parents, la main sur le menton, en hochant la tête avec un air contrit…

Elle ne ramenait pas de grand couffin, ne passait jamais la nuit et repartait toujours avec quelques œufs dans le « 3abboun », ample fourre-tout, trop grand pour ses seuls seins rabougris et qui servait à transporter le porte-monnaie, les petits bijoux, et parfois aussi quelques victuailles : mandarines, œufs, levure, épices etc…

Cette grand-mère là était très liée avec la mère qu’elle connaissait très intimement, un peu comme on est lié avec quelqu’un qui vous aurait sauvé la vie…

Mais curieusement, si nos deux grand-mères par les liens du sang n’avaient que nos frères et cousins pour petit-fils, cette grand-mère pouvait en avoir des centaines et sans liens de parenté entre eux…

Cette grand-mère a disparu… totalement disparu… comme ont disparu les dinosaures. Ce n’est pas le tribut d’une quelconque météorite qu’elles auraient payé de leur existence, non… C’est la modernité qui, en nous donnant la maternité, a tué toutes les troisièmes grand-mères de nos villages.

En ces temps pas très lointains où accoucher ne relevait pas du bistouri, des femmes très sages s’étaient en effet faites sages-femmes pour aider nos mères à nous donner la vie. Certaines d’entre elles ne pouvaient même pas vous dire le nombre d’enfants qu’elles avaient mis au monde. C’était des femmes de bonne volonté qui ne refusaient jamais, de nuit comme de jour, par vent ou par neige, par temps caniculaire ou par grand froid, aux dernières lueurs du crépuscule ou aux premiers rayons du soleil de prendre leur maigre balluchon pour répondre à l’appel du devoir, sans attendre d’autre contrepartie que la satisfaction d’entendre le vagissement du bébé ouvrant les yeux à la lumière du monde et de voir dans les yeux de la mère, scintiller cette indéfinissable fierté du devoir de perpétuation de la vie qu’elle venait d’accomplir…

Les sociologues n’y ont jamais prêté attention, mais cette grand-mère commune pouvait avoir été ce ciment social qui faisait de nos familles disparates des éléments ordonnés de notre puzzle social.

Cette grand-mère n’est plus.

Sur des lits mouroirs, les femmes se font ouvrir à la césarienne par des hommes en blanc avec la gestuelle froide des bouchers. Les bébés qu’on sort de leurs ventres sont aseptisés sous des cloches en verre comme des poussins industriels (fellouss triciti).

La procréation n’offre plus l’image sublime de ces vieilles femmes au visage brillant d’une pureté de genèse, affairées dans la pénombre des chaumières, avec une délicatesse d’artistes et une foi de saintes, transformant les gémissements de douleur des parturientes en sublimes rires de fierté quand, enfin délivré, l’enfant lance son hymne à la vie…

NOTRE BETE DU GEVAUDAN

Dans mon village, à la campagne, on n’a besoin ni de facebook ni de twitter pour communiquer vite et bien… L’information qui prenait habituellement le temps que fait une peugeot 404 pour aller d’un village à l’autre s’est considérablement réduite avec l’invasion du mobile.
Le téléphone occidental, il faut le reconnaître, est plus efficace que notre bon vieux téléphone arabe, en matière de célérité de propagation de la rumeur… et comme nous savons toujours donner une touche de notre folklore à n’importe quel gadget de la modernité, nous avons réussi à exploiter le petit bidule à puce en agrémentant l’info que nous y faisons transiter de beaucoup de nos innocentes exagérations…
Ce vendredi, juste après la prière du D’hor, des travailleurs parmi ceux qui posent du côté de Boubekeur les grosses canalisations qui doivent emmener l’eau du barrage vers les villes de la steppe, ont vu la bête… un véritable Nessie… Ils sont montés tous en courant vers le cantonnement de l’armée et à grands gestes et vociférations, tous ensemble, ils ont essayé d’expliquer au commandant les tenants de l’affaire et c’est sans plus attendre que ce dernier ordonna à une section d’aller sauver le pays et la population de cette terrifiante créature.
Arrivés sur les lieux, les soldats n’ont bien sûr rien trouvé… le doigt sur la gâchette, ils ont fouillé les fourrés, déplacé du ranger’s quelques pierres, soulevé des sachets noirs, regardé dans les crevasses de la terre, mais ils n’y’avait pas trace du serpent de Boubekeur qui avait « au minimum » le diamètre des tubes et leur longueur aussi… sachant que ceux-ci font 6 m de long et 1m de diamètre.
Les soldats sont retournés à leur caserne, laissant les travailleurs se regarder en se grattant le menton, ou en se triturant les mains, l’œil bas comme des adultes pris en flagrant délit de mensonge. Ils s’en sont voulu de ne pas avoir laissé l’un d’eux à surveiller le monstre mais c’était une mission que personne n’aurait acceptée…
Le village et les douars d’alentours qui ont été informés instantanément de cette horrible découverte ont continué à propager la nouvelle et le soir toute la contrée ne parlait que de ça… le serpent aurait même été vu très loin, de l’autre côté de la rivière ; d’aucuns affirment avoir entendu dire que les deux vaches de Boualem Gharbi en auraient fait les frais et que c’est peut-être cette rampante nouvelle bête du Gévaudan qui aurait dévoré les 6 moutons de Salem Belgacem qu’on avait accusé Moh Tanghouda d’avoir volés…
Le serpent de Boubekeur va ainsi continuer à alimenter notre chronique villageoise jusqu’à ce qu’on découvre du côté de Boutboul ou d’El Khaloua une autre bête que nous grossirons au fur et à mesure que nous en parlerons, pour faire d’un petit lézard des murailles un affreux crocodile du Nil…
Comme l’ont fait nos lointains cousins de Sour El Ghozlane*…

*-La presse, toujours pressée d'informer ses lecteurs à montré une photo de ce qui s'apparente à un crocodile, découvert dans la cave d'un bâtiment de cette ville. Le terrible alligator avait la taille de la chaussure de la personne entre les pieds de laquelle elle fut prise en photo... c'est vous dire à quoi ont échappé les "Aumaliens"!

LE RAMADHAN EST A NOS PORTES

Dans mon village, à la campagne, nous attendons le Ramadhan comme on attendrait un ogre. Nous devinons un peu ce qu’il nous fera supporter en faim, soif, dépenses, disputes, coups et blessures volontaires et involontaires, divorces, accidents, tension artérielle et baisse de régimes sauf alimentaire ; mais dans nos discussions, nous prenons l’air résigné et nous chantons les louanges de ce mois sacré, pour la piété avec laquelle il nous enveloppera, pour les biens qu’il étalera pêle-mêle sur les chaussées, pour les odeurs de zalabia et de soupe qui feront ressembler notre pays à une grande gargote à ciel ouvert, pour les resto de la Rahma où nous donnerons à manger aux plus démunis pour ne pas avoir à les servir sur nos méidas…

Le Ramadhan, ce sont nos femmes qui l’apprécient particulièrement parce qu’il contraint les hommes à déserter le salon familial pour choisir entre café et mosquée, leur évitant ainsi de gêner la maisonnée par leurs gros souliers sur les divans, leurs ronflements de bucherons et leurs manie d’ordonner aux enfants de ramener les pantoufles « ya djed yemak ! » , de retirer la carafe d’eau « ya djed babak ! » , d’aller chercher le journal « ya t’nah ! », de chasser le chat « ya el khamedj ! » ou de baisser le son de la télé « ya latrache ! »… mais aussi de se croire obligés de commenter au mauvais moment les scènes des feuilletons turcs ou syriens ou d’ordonner le changement de chaine au moment où Mohanad est montré en gros plan, pour voir ce qu’il advient de Kaddafi, pour prendre connaissance des dernières frasques de Sarkozy, des dernières menaces de Nasrallah ou pour vitupérer contre les promesses toujours reportées de Ghoul, les colères feintes de Amar Tou, l’amabilité trop condescendante de Belkhadem ou l’arrogance assassine d’Ouyahia…

Nous les hommes, nous attendons pour notre part le Sacré mois du Ramadhan pour arborer nos gandouras blanches immaculées et retirer le chapelet du coffre où on l’a rangé après la dernière prière du Ramadhan de l’an passé, afin de l’égrener pieusement en attendant l’Adhan, pour oublier le creux à l’estomac ou l’envie d’une Ben Haroun glacée et pour ne pas être tentés d’utiliser nos mains à des fins plus violentes…

Nous espérons aussi du Ramadhan un petit répit pour nos protesta… les enseignants ne pouvant faire grève pour cause de congé, les étudiants pour cause de vacances, Ali Yahia Abdenour ne pouvant marcher par peur d’insolation, les stades vidés de leurs gladiateurs ne pouvant servir de lieu de rencontre aux casseurs, les routes ne pouvant se faire couper faute de coupeurs, occupés à récupérer le sommeil perdu durant les veillées et peu tentés de brûler des pneus vu l’incandescence que nous vivons habituellement au mois d’août, qu’il soit sacré ou profane…

LA PROTESTA INEDITE DE NAKRACHE

Dans mon village, à la campagne, c’est parce qu’on sent que tout risque de bien aller qu’on se prend à craindre que rien n’aille plus… C’est une appréhension dont la logique est difficile à admettre mais il faut se mettre dans la peau d’un villageois pour pouvoir la comprendre…

Depuis la mise en service du grand barrage de derrière les montagnes, que Dieu nous le préserve de tout séisme majeur, l’eau coule presque chaque jour… Elle n’a plus la couleur verte de celle d’antan, on n’y sent qu’une légère odeur de chlore et à part quelques sangsues trop petites pour inquiéter, aucun corps solide ne nage dans nos bidons… Le drame est justement là!... Que réclamer et pour quelle raison allons nous encore fermer la mairie et couper le chemin de wilaya qui relie le bas du village au village d’en haut ?... On pense bien faire une petite marche vers l’ADE pour réclamer une réduction de la facture mais avec la tendance du « en veux-tu en voilà » qu’adoptent les autorités contestées devant les citoyens contestataires, nous risquons d’être satisfaits au premier pneu brûlé ; alors nous préférons laisser cette revendication lourde à une autre occasion. Pour nous venger des ventes concomitantes qu’on nous imposait il n’y a pas si longtemps, nous avons préparé une belle manif durant laquelle nous exigerons de cet Etat-vampire la gratuité de l’eau, du gaz et de l’électricité. Il nous a bien accordé un jour ce qu’on appelle : médecine gratuite… Mais il y’a quelques réticences et la dernière fois que nous sommes rassemblés, nous les meneurs, sous l’olivier à palabres de Ahmed Ben Slimane, notre ami Essaid Nakrache, l’intellectuel du groupe et coiffeur de son état, qui a la manie de couper les cheveux en quatre a refroidi nos ardeurs… « Si l’Etat nous offre gratis ces services avec la même qualité de service que ce dont nous gratifie Ould Abbes, ce serait une victoire à la Pyrrhus… car très vite nous devrons faire appel aux citerneurs pour l’eau, aux âniers pour le fagot de bois qui remplacera le gaz et à la bougie pour nous éclairer… un peu comme nous avons été contraints de recourir aux rebouteux, guérisseurs, marabouts et autres exorcistes à la place des médecins et aux herbes dites médicinales dont les échoppes fleurissent presque autant que les locaux à flexy , aux talismans pour remplacer la Rovamycine, à la sainte eau de Zemzem en guise de sirop antitussif et à la « Hidjama » d’antan pour nous débarrasser de notre moufissa (mauvais sang) »… nous a-t-il prévenus…

Oui… parce que notre Etat à nous, quand il nous donne gratis, c’est pour nous contraindre à aller acheter très cher ailleurs… Voyez combien nous devons aujourd’hui dépenser pour donner un enseignement valable à nos enfants auxquels les marchands d’alphabet du secteur public prodiguent un enseignement gratuit de quelques jours par an, occupés qu’ils sont à réclamer leurs augmentations de salaires à un Benbouzid qui joue à la fermeté durant toute l’année scolaire pour finir par lâcher le morceau à la veille des examens afin qu’ils ne soient pas perturbés et nous permettent d’aligner des résultats aussi élogieux que ceux des scrutins référendaires des rois du Makhzen…

Essaid Nakrache a préconisé non pas d’exiger à notre prochaine émeute la gratuité de l’eau, du gaz et de l’électricité mais de revendiquer haut et fort l’abolition de la médecine et de l’enseignement gratuits…

Ca nous permettra nous a-t-il dit de retrouver une santé et un enseignement de qualité car l’Etat, ses enseignants et ses médecins n’auront plus l’idée de jouer au bras de fer en posant leurs coudes sur le ventre du peuple qu’ils prennent pour moins que rien, persuadés qu’ils sont de lui faire l’aumône !…

UNE HISTOIRE VACHE

Dans mon village, à la campagne, l’atmosphère est très tendue et les gens sont divisés entre partisans de Sid-Ali Boudraa et défenseurs de Sid-Ahmed Boukraa… le premier, un fier à bras, aurait certainement administré une tannée au second, un coureur invétéré, si ce dernier n’avait donné « du vent à ses pieds »…

C’est à cause d’une vache que tout est arrivé !

Non instruite des limites entre les terrains de deux hommes car elle ne devait certainement pas connaître le sens d’une clôture, La vache de Ahmed Boukraa avait en effet passé sa grosse tête hors de la palissade de séparation et arraché d’un coup d’incisives une bonne touffe de chiendent, herbe parasite mais tout de même incontestable propriété de Sid-Ali Boudraa. C’était suffisant pour que les hostilités latentes entre les deux hommes prennent allure de feuilleton, occasionnant aux deux hommes des déplacements et des frais qui ont contraint le premier à laisser ses jardins en jachère et le second à… vendre sa vache.

Sid-Ali Boudraa et Sid-Ahmed Boukraa sont voisins et tout le monde a constaté que depuis l’ouverture des deux cabinets d’avocats au village, les voisins sont devenus tous ennemis les uns des autres… Les deux cabinets ne chôment pas et, pour faire face à la demande, ils ont dû recruter à tour de bras des jeunes diplômés payés par l’Etat dans le cadre des différents dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle…

Les problèmes villageois avant l’arrivée des « beaux gâteaux » étaient réglés par les conseils de sages des quartiers… des conseils qui n’ont rien à voir avec les actuels comités de quartiers crées et entretenus par l’administration pour servir d’alibi de démocratie, un peu comme les partis dits politiques à un plus haut niveau, et pour remplir les salles et jouer à la claque lors des visites du Président, des ministres ou du Wali… Non, le conseil des sages ne tenait qu’à une ou deux personnes, choisies parmi celles qui font l’unanimité pour leur probité et leur charisme, leur foi et leur érudition… et qui avaient suffisamment d’autorité morale pour en imposer aux belligérants potentiels…

Et pour les conflits dépassant le quartier, on allait solliciter l’arbitrage de Chikh El Hantali qui avait la patience, la sagesse et l’autorité suffisantes pour faire sortir bras dessus bras dessous, des gens entrés chez lui en chiens de faïence…

Belaiz a eu l’idée de restaurer ces médiations en créant le corps des médiateurs… fonctionnarisés à outrance, ces intermédiaires judiciaires n’ont aucune chance de remplacer les sages d’antan.

Parce que la bouchée de chiendent arrachée de la propriété de Boudraa, si elle n’a pas servi à faire grossir la vache de Boukraa, aura certainement servir à gonfler le compte en banque de tous ces défenseurs et auxiliaires de justices : avocats, huissiers et…médiateurs dont les études poussent à vue d’œil même dans mon village à la campagne… un village qui en était prémuni et où personne n’avait intérêt à créer des conflits qui n’avaient aucune raison d’exister !

UN ETE SANS FIGUES-FLEURS

Dans mon village, à la campagne, on ne se soucie guère de l’identité des hôtes de Bensalah ni de la manière dont ils voient la prochaine constitution, l’éclipse de lune est passée inaperçue, la visite de Juppé comme la controverse entre Raouraoua et Ouyahia sur la nationalité du futur entraineur de l’EN ne suscitent aucun intérêt… C’est que Les villageois sont inquiets… ils ne parlent que de la catastrophe subie par les figues-fleurs (bakour), ces gros fruits qui murissent d’habitude dès le 10 juin, et les treilles de vigne qui montent à l’assaut de leurs dalles, cachant les murs non crépis, s’accrochant aux fers des piliers qui attendent une autre aide à l’auto-construction pour être coulés, comme ont été coulés les piliers et la dalle du Rez De Chaussée … En effet, les pluies de mai ont gorgé d’eau les figues et la fournaise de juin les a transformées en petites bouilloires ; elles sont devenues flasques et tombent toutes seules, jonchant le sol sous les arbres. En s’y écrasant, elles éclatent et attirent mouches et moustiques rendant les vergers infréquentables. Les treilles quant à elles, voient leurs feuilles se teinter de rouille et tomber… les grappes de raisin qui promettaient pourtant une récolte exceptionnelle sont elles aussi attaquées et dépérissent très vite. Les attaques sont foudroyantes et la contamination est très rapide. En quelques jours toutes les treilles ont viré d’un beau vert printanier à une rousseur automnale…

Les villageois ne comprennent pas comment, avec notre institut Pasteur, nos grandes écoles d’agriculture, tous nos ITMA et tous nos bureaux communaux de vulgarisation des techniques agricoles mobilisant des milliers de techniciens de la santé animale et florale, on n’a trouvé aucune parade adéquate aux figues-fleurs qui tombent ni aux feuilles de vignes qui roussissent… et l’autre jour, en voyant à la télévision des chinois présenter des vaches « djinnitiquement » modifiées desquelles ils ont réussi à traire du lait de femme, ils se sont sentis frustrés… Comment eux réussissent-ils à créer des vaches-femmes alors que nous, avec tous nos techniciens, nous n’avons rien pu faire, juste pour sauver el bakour et le raisin. Ce qui console nos paysans c’est qu’ils savent que les chinois sont champions en produits de contrefaçon et qu’après avoir crée de parfaites imitations de tout ce que produit l’homme, ils devaient bien un jour arriver à contrefaire des créatures … du Bon Dieu !

Quant aux figues fleurs et au raisin, ils s’en consolent aussi en espérant se rabattre sur les pruneaux et grenades qui promettent profusion et succulence… Si d’ici là la contestation larvée des contestataires décidés à contester ne nous fera pas gouter à des pruneaux et grenades incontestablement moins digestes…

NOS VIGNES ET LEURS VACHES

Dans mon village, à la campagne, les paysans ou ce qui en reste après les innombrables « restructurations » du monde dit « agricole » ne sont pas contents, mais pas contents du tout !...

Ce ne sont pas les mauvais sévices que leur rend Benaissa qui les dérangent, non… Benaissa s’occupe rarement des petits paysans et les nôtres ne sont que de pauvres petits paysans parfois sans terres, et quand ils en possèdent, elle est si montagneuse et si morcelée qu’elle ne vous donne droit à aucun crédit d’investissement ou de campagne.

Benaissa n’y est pour rien dans l’exclusion de nos paysans de tout crédit car comme tout le monde le sait, depuis Rockefeller et peut être bien avant : on ne prête qu’aux riches… aux pauvres paysans, jeunes, entrepreneurs etc… on fait miroiter des promesses de crédit puis on les dissuade par un dossier en béton et comme nos fellahs ont déjà la phobie de tout ce qui est paperasse, ils ne s’aventurent presque jamais à aller déranger l’ogre en son antre; et quand certains téméraires d’entre eux osent le faire, ils finissent par s’essouffler devant les guichets où trônent de sadiques bureaucrates aux visages de vampires auxquels on a appris que leur rôle consiste à éplucher les dossiers pour y trouver la moindre raison afin de ne pas les accepter… quitte à inventer cette raison, ce dont ils ne se privent pas. Nos paysans rentrent alors chez eux bredouilles en maudissant le grand père de la mère de l’administration (djed yemmat el idara), juste pour se défouler et en jurant par Sidi Gacem qu’on ne les y reprendra plus !

Nos petits paysans ne sont pas fâchés contre ces bureaucrates. Ils savent pour les avoir connus depuis… Lacoste, que leur mission consiste à refuser ce que les politiques font semblant d’accorder… Non… nos paysans ne sont en rogne que contre… le temps !...

D’abord contre ce printemps qui s’est fait hiver en inondant les terres juste après les fenaisons, transformant le foin bottelé en fumier hachakoum… Puis cette canicule totalement incongrue qui s’en est venue, presque sans transition, assécher les vergers et conjuguant les deux phénomènes climatiques, cette humidité qui a favorisé bayoud et mildiou, pour donner le coup de grâce à une récolte qu’on savait famélique faute d’engrais…

Nos paysans auraient bien aimé protester comme tout le monde… s’équiper de pancartes et de banderoles et pousser devant eux des pneus pour s’en aller couper le chemin vicinal qui mène à la mosquée… hélas ! ledit chemin a été déjà coupé par les fortes précipitations du mois de mai…

HISTOIRE D'EAU

Dans mon village, à la campagne, l’eau est enfin revenue… Elle est partie depuis quelques jours sans crier gare car le village n’est pas un quartier d’Alger pour que les gens qui nous la servent se croient obligés de nous informer tout le temps de ses coupures… Peut-être parce que ce n’est pas autant notre eau que la leur… si nous, nous en usons et très souvent en abusons, eux, ils la traquent dans le sous-sol, lui construisent des barrages pour ne pas la laisser se perdre dans la mer, lui font des canalisations, des châteaux d’eau et nous la ramènent jusqu’aux abreuvoirs municipaux, je veux dire jusqu’aux fontaines publiques et même jusqu’à nos compteurs… Sa gestion est si difficile dit-on que leur ministre a pensé faire appel à la Lyonnaise des Eaux comme les gens des ports ont appelé à la rescousse les Arabes enturbannés de Dubai pour mettre de l’ordre dans les containers… Et puis, le service des eaux n’a pas à nous informer des coupures, de leurs raisons et de leur durée… d’abord parce que lui-même ignore quand et pourquoi elles surviennent et le temps que prendra leur réparation, ensuite parce que nous ne sommes pas de la ville mais de simples villageois et enfin parce que s’il devait à chaque fois nous placarder des avis de coupure dans les journaux, il ne ferait que ça… L’astuce pour dépenser moins et informer mieux, serait que Sellal ordonne à ses services d’avertir la population des villages du jour où l’eau devra couler dans les robinets et non des jours où elle les désertera… Comme ça, ils feront un placard par mois au lieu de 29… Et si l’eau coule un jour par mois c’est largement suffisant pour tenir les 29 jours suivants car comme tout le monde l’aura remarqué, après les paraboles qui permettent à nos femmes de se gaver de feuilletons turcs, la chose la plus répandue dans nos maisons ce sont les futs de 200 litres et les citernes galvanisées dans lesquels nous stockons notre eau… heu… leur eau.

L'ECLIPSE ET LE JUS

Dans mon village, à la campagne, il a fait très chaud... presque autant qu’hier… plus de 35 degrés... l'éclipse totale de lune de la nuit du mercredi a pu être observée sans la gêne de l'éclairage artificiel puisque l'électricité nous a joué les filles de l'air juste au moment où la blafarde se faisait éclipser par l'ombre de la terre. Tout le monde (et la Sonelgaz) savent que ces coupures sont dues à la surcharge conséquente à la mise en service simultanée des climatiseurs de contrefaçon qui décorent maintenant tous les murs de toutes les chaumières et que beaucoup de citoyens font tourner à l’œil après avoir appris le geste facile et sans risque qui consiste à « arrêter le compteur » à volonté.

C'est donc à "la sombre clarté qui tombe des étoiles" que le spectacle grandeur nature s'est offert à ceux qui ont daigné lever la tête sans craindre de faire une mauvaise chute dans quelque regard d'égout dont le couvercle en fonte aurait été subtilisé par les "récupérateurs de métaux" qui se sont attaqués à coup de scies électriques mêmes aux garde-fous des ponts après avoir enlevé les plaques de signalisation routière. Des plaques qui se font arracher au grand bonheur des usagers de la route qui peuvent libérer leurs ardeurs sans crainte des rappels lassants de ce que Lazouni appelle en termes techniques : signalisation verticale et que les gendarmes prompts à dégainer leurs carnets à PV vous prennent à témoins en se postant en embuscade à portée de leur vue et hors de portée de la vôtre…

Les usagers de la route n’iraient pas couper la route pour ça, même si c’est d’actualité… L’actualité est aussi à la fête. Le mois de mai comme tout le monde le sait est maléfique pour les mariages, circoncisions et autres manifestations festives… et comme le Ramadhan c’est en Août et qu’il nécessite au moins la deuxième quinzaine de juillet pour s’y préparer, les noceurs n’ont plus que quelques semaines pour expédier leurs fêtes ; mais si la route est épargnée par les usagers, elle reste une arène privilégiée pour les citoyens qui découvrent tous en même temps qu’ils méritent d’avoir le goudron sur leurs rues, l’eau dans leurs robinets, le gaz dans leurs cuisines et l’électricité qui leur permettre de faire fonctionner leurs climatiseurs de contrefaçon, à l’œil, en apprenant en un tour de main à déconnecter les compteurs…

COMMENT ONT FINI MOH QARNIT ET DJAAFAR SERDINA

Dans mon village, à la campagne, nous avions deux poissonniers, Moh Qarnit et Djaafar Serdina aussi sympathiques l'un que l'autre et qui rivalisaient de formules pour nous faire acheter leur poisson.

Ils s'installaient côte à côte et ne se gênaient pas du tout pour discuter entre eux; il arrivait même que quand l'un d'eux allait faire un tour au café, c'est son concurrent mais néanmoins ami qui se chargeait de vendre son poisson jusqu'à son retour.

Leur belle entente était matérialisée par cette balance commune avec laquelle ils nous pesaient le poisson en n'oubliant jamais d'ajouter une pleine poignée qu'ils appelaient " la part du chat ".

Ca se passait très bien entre eux et entre nous et eux.

Un jour, un gros poissonnier est venu de la ville. Il avait une camionnette plus fringante et une balance automatique qui vous donnait le poids au gramme près, sur un écran à cristaux liquides...

Il avait un tout autre comportement. Contrairement à nos amis poissonniers, il n'enveloppait pas son poisson dans des vieux journaux et on dit même que c'est lui qui introduisit les sachets en plastique.

C'était un monsieur inexpressif comme un billet de banque, il n'avait pas cette gouaille et cette joyeuse bonhomie de nos deux poissonniers et montrait qu'il vouait beaucoup de respect à l'argent puisqu'il n'y touchait jamais avec ses mains remplies d'écailles mais chargeait son fils de se faire payer et de rendre la monnaie.

Voyant que malgré sa propreté et la qualité de ses poissons nous continuions à le bouder, lui préférant nos deux joyeux compères habituels, il changea de tactique.

Il profita de son aisance pour brader littéralement son poisson. Nous autres villageois, nous avons des principes mais nous ne jetons pas l'argent par les fenêtres. Nous nous rabattîmes graduellement sur lui, en envoyant nos gosses nous acheter la sardine pour ne pas avoir à subir le regard de nos anciens poissonniers qui essayèrent au début de suivre le rythme infernal de la " sousenchère " exercée par le gros poissonnier mais qui, n'ayant pas son foin, furent mis très vite sur la paille et de guerre lasse, durent abandonner le métier. Ils choisirent quasiment la même voie de sortie puisque Moh Qarnit trouva une place à la Sonitex et Djaafar Serdina se suicida.

Resté seul sur la place, le gros poissonnier nous montra un tout autre visage. Il redressa spectaculairement les cours du poisson au point que nous dûmes réduire de moitié notre consommation pour un prix double.

Nous apprîmes à nos dépens qu’il avait bien raison le quidam qui nous a dit du fond des âges " celui qui te fait rire aujourd'hui te fera pleurer demain. "

NOS VILLAGEOIS SONT DES GENS HEU...REUX !

Dans mon village, à la campagne, nous sommes depuis ce vendredi des gens heu-reux !

Notre vénérable Président d'APC que nous surnommons " EL OUMDA " a permis à " LA LOTERIE" de s'installer dans notre place publique et chaque soir nous avons droit aux vociférations du rabatteur de pigeons qui gueule dans son mégaphone ses trois vérités qu'il répète comme un disque rayé depuis 1962: "Elli yelaeb yerbah, elli r'bah' izid yerbah' ouelli ma yelaeb ma yerbah "... et nous autres mâles villageois, sevrés depuis le temps d'une guerre de libération de tout défoulement, nous avons enfin trouvé le moyen de laisser les femmes savourer en paix leur Cassandra quotidienne.

Autour de la baraque en contreplaqué, le tapis de tickets montre notre engouement pour le jeu de hasard que nous pratiquons avec une frénésie à faire enrager Ouyaya qui croit nous avoir appauvris en nous compressant.

Notre vénérable " Oumda " a réussi à animer le village qui ne connaît habituellement que les chants patriotiques éculés durant les fêtes nationales et les tristes psalmodies durant les fêtes religieuses... c'était devenu lassant avec les mines exagérément sérieuses des soi-disant militants et celles hypocritement pieuses des pseudo- croyants...

La loterie, c'est un bon début... Et puisque le cinéma, le livre, la musique, la peinture, la bande dessinée n'existent plus dans notre lexique, il faut espérer que notre Oumda, grisé par le succès de cette loterie, nous instaurera un carnaval. Ca fera tâche d'huile, vous verrez ! on aura, en moins de temps qu'il faut à un journal " indépendant " pour fomenter une émeut, un carnaval par commune qu'on mettra six mois à préparer et six mois à commenter... ce sera la fin de la déprime et ça nous permettra d'oublier enfin ces faces de carême de politiciens de Double Nah à Boukrouh Boukrouh Ghachi, de Djaby la hache à Sadidas, de Reda Lamec à Louiza Karnoune, de Benbaibechamel à Benhamoudada, d'Ouyaïe aïe aïe à Ait Ahmedia qui se prennent au sérieux, au point de croire que la politique est synonyme de rictus et que le rire est un péché capital...

MON VILLAGE A L'EPREUVE DE LA POLITIQUE

Dans mon village à la campagne, la politique a produit de grands bouleversements.

Avant l'heureux avènement de la démoncratie, trois grosses tendances « convivaient » pacifiquement au sein du parti inique.

La première, amatrice de bonne chair et de gros gueuletons utilisait le parti comme carte client du Souk El Fellah, de l'ONACO, de la SNS, de l'ENC, de la SNMC et des autres boîtes qui servaient et se servaient. La Kasma leur servait pour sa part d'aire de stockage aux cacahuètes, aux raisins secs et aux pruneaux.

La seconde, imbue de sa propre image, prenait de grands airs en s'encostumant, en s'encravatant et en se gominant les cheveux à tout va. La Kasma lui servait de tremplin pour sauter les étapes et de tribune pour étaler ses emphases quand elle n'était pas utilisée plus discrètement pour des ébats très très engagés.

La troisième aspirait à acquérir cette ancienneté militantesque qui lui permettrait de bénéficier elle aussi des bienfaits matériels dont jouissait la première ou de la considération sociale réservée à la seconde. Et pour y arriver, elle faisait la claque et se plaçait toujours dans le sens de la marche conjoncturelle de la Révolution socialiste même si celle-ci donnait le tournis avec la fréquence de ses demi-tours à droite puis à gauche ses brusques reculs et ses avancées tonitruantes.

Les territoires étaient si bien délimités et les rôles si bien assignés qu'il n'y avait aucun risque d'interférence et les " hassassiates " nageaient dans le parti inique comme des requins dans l'eau de l'océan.

Quand Octobre 88 a cassé la vitrine du parti, les hôtes de ces lieux se sont éclipsés en douce. Mais comme la boulitique est une seconde nature chez eux, ils ont commencé à montrer leurs antennes comme des gros bourgognes après l'ondée, dès que le multipartisme comme une " noce de chacal " (a'rs edhib... et c'est le cas de le dire !) est venu étaler le spectre de couleurs politiques que le peuple était appelé à conjuguer à tous les tons.

Les jouisseurs de la première " hassassiya " ont refait un autre FLN ; les m'as-tu-vu de la seconde on inventé le RND et les autres en désespoir de cause s'en sont remis au Bon Dieu qu'ils ont nommé - comble d'hérésie - secrétaire général de leurs parti-pris.

Le combat politique de ces trois grosses pointures, après avoir traversé péniblement la phase de qui tirera le mieux sur les pattes de l'autre a atteint une autre phase: celle de à qui marchera sur les pieds de l'autre.

Aux dernières élections et alors qu'elles s'apprêtaient à une mémorable partie de ruades, elles furent prises de court par le choix commun de leurs états-majors.

Elles ont dû piteusement ranger leurs sabots et, comble d'humiliation, faire campagne commune pour un seul coursier.

Aujourd'hui, dans mon village, à la campagne, ils font pitié à voir, ces militants frères-ennemis des trois hassassiyates. Pour se donner une raison de militer, les premiers ont investi un nouveau siège en bord de route - comme de bien entendu - pour mieux se faire voir et se faciliter une éventuelle fuite; et sous un pauvre olivier qui ne leur a rien fait, ils s'adonnent avec délectation à leur jeu favori, celui de la parlote à perte de langue.

Les seconds, forts du pouvoir qu'ils détiennent, occupent un siège mitoyen avec l'APC et offert gracieusement par celle-ci. Connaissant la musique et, pour adoucir leurs vilaines moeurs, ils se donnent plein le tube en mettant à fond la sono, laissant libre cours à Mazouni de débiter ses anachids nouvelle formule.

Quant à la troisième, elle a préféré investir les eucalyptus, en retrait du village pour tirer des plans sur la comète...

Et mon village où il aurait pu faire bon vivre est devenu par la faute des imbéciles qui n'ont pas compris qu'on peut faire de la politique proprement, un lieu où ça pue la suspicion, la morgue, la suffisance, la fatuité et l'opportunisme et à des kilomètres à la ronde.