Dans mon village, à la campagne, nous attendons le Ramadhan comme on attendrait un ogre. Nous devinons un peu ce qu’il nous fera supporter en faim, soif, dépenses, disputes, coups et blessures volontaires et involontaires, divorces, accidents, tension artérielle et baisse de régimes sauf alimentaire ; mais dans nos discussions, nous prenons l’air résigné et nous chantons les louanges de ce mois sacré, pour la piété avec laquelle il nous enveloppera, pour les biens qu’il étalera pêle-mêle sur les chaussées, pour les odeurs de zalabia et de soupe qui feront ressembler notre pays à une grande gargote à ciel ouvert, pour les resto de la Rahma où nous donnerons à manger aux plus démunis pour ne pas avoir à les servir sur nos méidas…
Le Ramadhan, ce sont nos femmes qui l’apprécient particulièrement parce qu’il contraint les hommes à déserter le salon familial pour choisir entre café et mosquée, leur évitant ainsi de gêner la maisonnée par leurs gros souliers sur les divans, leurs ronflements de bucherons et leurs manie d’ordonner aux enfants de ramener les pantoufles « ya djed yemak ! » , de retirer la carafe d’eau « ya djed babak ! » , d’aller chercher le journal « ya t’nah ! », de chasser le chat « ya el khamedj ! » ou de baisser le son de la télé « ya latrache ! »… mais aussi de se croire obligés de commenter au mauvais moment les scènes des feuilletons turcs ou syriens ou d’ordonner le changement de chaine au moment où Mohanad est montré en gros plan, pour voir ce qu’il advient de Kaddafi, pour prendre connaissance des dernières frasques de Sarkozy, des dernières menaces de Nasrallah ou pour vitupérer contre les promesses toujours reportées de Ghoul, les colères feintes de Amar Tou, l’amabilité trop condescendante de Belkhadem ou l’arrogance assassine d’Ouyahia…
Nous les hommes, nous attendons pour notre part le Sacré mois du Ramadhan pour arborer nos gandouras blanches immaculées et retirer le chapelet du coffre où on l’a rangé après la dernière prière du Ramadhan de l’an passé, afin de l’égrener pieusement en attendant l’Adhan, pour oublier le creux à l’estomac ou l’envie d’une Ben Haroun glacée et pour ne pas être tentés d’utiliser nos mains à des fins plus violentes…
Nous espérons aussi du Ramadhan un petit répit pour nos protesta… les enseignants ne pouvant faire grève pour cause de congé, les étudiants pour cause de vacances, Ali Yahia Abdenour ne pouvant marcher par peur d’insolation, les stades vidés de leurs gladiateurs ne pouvant servir de lieu de rencontre aux casseurs, les routes ne pouvant se faire couper faute de coupeurs, occupés à récupérer le sommeil perdu durant les veillées et peu tentés de brûler des pneus vu l’incandescence que nous vivons habituellement au mois d’août, qu’il soit sacré ou profane…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire