dimanche 18 septembre 2011

LA GRAND MERE PERDUE

Dans mon village, à la campagne, et jusqu’aux années 70, tout le monde avait trois grand-mères…

Il y’avait bien-sûr celle que le père détestait, celle avec laquelle la mère ne s’entendait jamais et une troisième… très sympathique, peu encombrante et qui ne prétendait à aucune possession physique ou matérielle à la maison…

Elle venait d’ailleurs très rarement et ne tenait jamais de conciliabules avec l’un des parents, la main sur le menton, en hochant la tête avec un air contrit…

Elle ne ramenait pas de grand couffin, ne passait jamais la nuit et repartait toujours avec quelques œufs dans le « 3abboun », ample fourre-tout, trop grand pour ses seuls seins rabougris et qui servait à transporter le porte-monnaie, les petits bijoux, et parfois aussi quelques victuailles : mandarines, œufs, levure, épices etc…

Cette grand-mère là était très liée avec la mère qu’elle connaissait très intimement, un peu comme on est lié avec quelqu’un qui vous aurait sauvé la vie…

Mais curieusement, si nos deux grand-mères par les liens du sang n’avaient que nos frères et cousins pour petit-fils, cette grand-mère pouvait en avoir des centaines et sans liens de parenté entre eux…

Cette grand-mère a disparu… totalement disparu… comme ont disparu les dinosaures. Ce n’est pas le tribut d’une quelconque météorite qu’elles auraient payé de leur existence, non… C’est la modernité qui, en nous donnant la maternité, a tué toutes les troisièmes grand-mères de nos villages.

En ces temps pas très lointains où accoucher ne relevait pas du bistouri, des femmes très sages s’étaient en effet faites sages-femmes pour aider nos mères à nous donner la vie. Certaines d’entre elles ne pouvaient même pas vous dire le nombre d’enfants qu’elles avaient mis au monde. C’était des femmes de bonne volonté qui ne refusaient jamais, de nuit comme de jour, par vent ou par neige, par temps caniculaire ou par grand froid, aux dernières lueurs du crépuscule ou aux premiers rayons du soleil de prendre leur maigre balluchon pour répondre à l’appel du devoir, sans attendre d’autre contrepartie que la satisfaction d’entendre le vagissement du bébé ouvrant les yeux à la lumière du monde et de voir dans les yeux de la mère, scintiller cette indéfinissable fierté du devoir de perpétuation de la vie qu’elle venait d’accomplir…

Les sociologues n’y ont jamais prêté attention, mais cette grand-mère commune pouvait avoir été ce ciment social qui faisait de nos familles disparates des éléments ordonnés de notre puzzle social.

Cette grand-mère n’est plus.

Sur des lits mouroirs, les femmes se font ouvrir à la césarienne par des hommes en blanc avec la gestuelle froide des bouchers. Les bébés qu’on sort de leurs ventres sont aseptisés sous des cloches en verre comme des poussins industriels (fellouss triciti).

La procréation n’offre plus l’image sublime de ces vieilles femmes au visage brillant d’une pureté de genèse, affairées dans la pénombre des chaumières, avec une délicatesse d’artistes et une foi de saintes, transformant les gémissements de douleur des parturientes en sublimes rires de fierté quand, enfin délivré, l’enfant lance son hymne à la vie…

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