dimanche 18 septembre 2011

KACI BOUNIF DECOUVRE UN GISEMENT D'OR NOIR

Dans mon village, à la campagne, nous avons failli devenir des texans… C'est en effet en creusant les fondations de ce qui va devenir dans quelques années notre bibliothèque communale que Kaci Bounif - travailleur occasionnel parmi tant d'autres - fît une découverte qui faillit bouleverser l'économie de toute la région.

Il le sentait venir depuis quelques jours (et pour cause !) mais il ne voulait pas le croire… mais là, il en était convaincu... oui... il avait découvert sous ses pieds une nappe de pétrole !

C’est par une sorte d’immense eureka que Kaci annonça la nouvelle au contremaître qui surveillait les travaux de sous son chapeau de paille. Du fond de son trou, il bégayait en portant fébrilement une motte de terre luisante à son nez…

En moins de temps qu’il n’en faut pour le crier sous le premier toit, le village eut vent de l'affaire et ce fut un déferlement de villageois de tous âges qui entoura la fosse au fond de laquelle il officiait de la pioche et de la pelle... Il s'exprima alors avec la modestie et l'humilité qui vont avec les hommes des grandes découvertes: " Je ne suis pas « génieur » dit-il à la populace émerveillée... je ne suis qu'un creuseur de fondations... et c'est en creusant que j'ai découvert le pétrole... au début je doutais un peu mais au fur et à mesure que je m'enfonçais j'avais la conviction que j'allais faire cette trouvaille..."

Tahar N'Amar à qui rien n’échappait des pulsations villageoises et qui faisait autorité par son âge et sa vivacité vint en courant dans son pantalon arabe et son sempiternel gilet bleu élimé... la masse humaine qui entourait la fosse lui libéra le passage par déférence et Kaci, du fond de son trou, recommença sa litanie : "ya ammi Tahar, je ne suis ni savant ni génieur...". Tahar N'Amar l'invita à lui remettre une grosse motte de terre imbibée de pétrole non sans avoir sèchement rabroué l'hilare Saïd Hamoud qui osait fumer dans pareille condition… Ce dernier, conscient de la gravité de son geste jeta le mégot par terre sans se rendre compte qu’il avait failli commettre l’irréparable. Heureusement que Saad El Modjrab avait le pied à portée du mégot, ce qui lui permit de l’éteindre, en se vrillant la temps de son index, pour lui signifier son inconscience. Tahar N’Amar ordonna au contremaitre d’arrêter illico tous les travaux ; il prit la motte et de son pas pressé, descendit vers la place publique où il avait garé sa Simca 60 au sommet d’une petite côte car elle ne démarrait plus à la clé. Il s'était senti le devoir d'informer la gendarmerie dont la brigade se trouvait à 10 km.

Quand il revint de chez les hommes verts, il trouva les villageois dissertant sur les bienfaits mais aussi les malheurs qu'allait connaître leur village par l'effet de la découverte de Kaci.

Tahar N'Amar ne descendit pas avec le V de la victoire qu'il ne connaissait d’ailleurs pas. Mais à sa mine fière on sut qu'il avait accompli sa mission... Les gendarmes allaient venir dresser le « procès barbare » dit-il avec fierté, autorité et conviction aux villageois…

Les vieux sont des rabat-joie et tout le monde le sait... El Khawni Slimane à qui rien n’avait échappé de l’effervescence villageoise, l’œil espiègle, vint refroidir l’enthousiasme en disant à peu près ceci:

"ya l'm'ssakher !... n’touma oudjou’h el miziria machi oudjou’h el pétrole ! il n'y a pas plus de pétrole au stade que d'or dans ghar edhiba... ce que vous sentez n’est que l'odeur des carburants infiltrés sous terre car c'est là que les entreposaient les militaires français durant la guerre."

Une terrible désillusion s’abattit alors sur le village mais comme d’habitude, la déception collective fut vite transformée en dérision. Kaci qui fut surnommé « Sonatrach » perdit de sa superbe et finit par abandonner son poste pour aller travailler du côté de Boumerdes d’où il ne rentrait que tard, la nuit. Tahar N’Amar devait se faire aux quolibets perfides à chaque fois qu’il passait sur sa Simca 60… C’est bien sûr Said Hamoud qui eut la côte. Quand il jetait sa cigarette après usage, il ne manquait plus de l’écraser rageusement, imitant le geste de Saad El Modjrab, sous les rires du village…

Notre village dut se résigner à reporter à une autre occasion sa chance de connaître le développement qu’il n’espérait même pas mais la découverte de Kaci l’imprégna pour quelques jours d’une succulente fraicheur …

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