Dans mon village à la campagne, la cuisine du cru est en train de subir des mutations dont personne ne peut mesurer l'ampleur ni les risques.
Habituellement, les villageois se nourrissent de couscous à toutes les sauces ou même sans sauce... aux fèves vertes ou sèches, aux cardes, aux herbes (bsibsa, sella...), aux raisins frais ou secs, au potiron, aux pois-chiches... jamais aux poissons comme ça se ferait dans certaines régions du littoral et jamais à la viande sucrée comme ça se fait du côté de Msila-Djelfa-Biskra... Ceci pour le dîner.
Ce n'était peut-être même pas un choix gastronomique dicté par la volonté de faire plaisir aux palais mais une habitude imposée par l'instinct de survie, le couscous étant le moins cher et peut être le plus nourrissant, mais aussi pour d'autres considérations liées plus à la cohésion sociale qu'à l'estomac.
L'habitude était si bien ancrée dans les moeurs qu'on parlait ça et là, avec une pointe de dérision, de "République Couscoussière", un peu comme on parlait de "Républiques Bananières" pour un tout autre motif s'entend...
Depuis que l'Etat et ses servants, plus enclins à servir les monopoles et le FMI que la canaille ont décidé de lever les mesures de soutien aux produits dits de "première nécessité" pour ne soutenir (et quel soutien !) que sucre et lait, la semoule est passée en 10 ans, de 70 à 1000 DA le sac de 25 kg... La poignée de couscous est devenue plus chère que n'importe quel autre volume d'un autre aliment au point que les exégètes-calculateurs de la zakat penseraient à ne plus en faire leur étalon...
Ajoutez à cela le prix de l'huile d'olive qui a allégrement sauté de 25 à 500 DA le litre et vous comprendrez, sans être ministre de l'économie ou de la solidarité que le couscous est devenu le repas des rois, pas celui de la plèbe...
Le menu villageois est aujourd'hui bien plat et c'est le cas de le dire !... frites ou macaroni, "bgoul" ou chorba "blach"... c'est si insipide que le dîner lui-même n'est plus ce moment de communion familliale autour d'une généreuse "djefna" mais un encas expédié debout en boue et sans obligation d'horaire... ce qui occasionnera des dégâts irréparables sur la cohésion familliale, l'esprit de fratrie, le dialogue des générations, la discipline de groupe et autres petites choses qui faisaient grandeur et sacralité de la famille...
Le couscous, appelé "T3am" car il représentait la nourriture par excellence devrait changer de nom car il n'est plus LA nourriture mais UNE nourriture...
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