samedi 19 novembre 2011

L’INDENIABLE SIGNATURE DU VILLAGEOIS

Dans mon village à la campagne, on se souvient encore des tribulations de François…
Il est descendu à Brachma… c’est ainsi qu’on appelle l’embranchement sur la route nationale, comme on appelle « El Fasma » , le défoncement qui creuse la montagne, tout en haut, en un grand U, pour permettre à la route de se frayer un chemin vers l’au-delà… de la montagne s’entend, même si juste en contrebas se situe le tripot de Chaabet Lakhera (la rivière du jugement dernier) mais là n’est pas notre propos…
Il est monté par Moukdya pour rejoindre le village en ligne droite… préférant cette pente presque à 90* à la route départementale ou au chemin vicinal qui serpentent un peu trop pour éviter des escarpements pénibles aux ânes ou impossibles aux voitures.
Arrivé au dernier palier, on le vit prendre du repos sous un olivier et se repaître de fèves vertes du champ de Tahar N’Amar.
Les détails de son arrivée recoupés de plusieurs témoignages sont connus de tous les villageois et c’est par pudeur seulement qu’on oublie de citer l’arbre sur le tronc duquel il s’est soulagé de ses excès vésicaux…
C’en est ainsi au village. Rien n’échappe à notre vigilance et François ne pouvait y rentrer sans attirer notre curiosité, surtout avec sa chevelure de feu.
Il était parti aux lendemains de l’indépendance avec son oncle supplétif de l’armée française. On ne sait pas si c’est la justice hexagonale qui l’expulsa pour quelque délit majeur ou son oncle qui le chassa pour des frasques récurrentes, toujours est-il que François revint au village en ne sachant pas un traître mot d’arabe dialectal et avec des airs de vrai français.
La précarité dans laquelle vivaient ses parents allait très vite l’inciter à se prendre en charge autrement qu’en volant car il n’y’avait rien à voler au village et si en France il avait la chance d’échapper à ses victimes, chez nous ce n’était pas, mais vraiment pas le cas…
Il se mit alors à rechercher des expédients et trouva le moyen de ne pas se faire trop voir en posant des pièges aux grives et aux étourneaux afin de les vendre au marché de Brachma à un vieux monsieur en béret et 2CV qui approvisionnait les bars des villes de l’autre côté de la montagne.
Il réussissait tant bien que mal à se faire l’argent de poche qui lui permettait de se payer du pain, de la limonade et des cigarettes…
Un jour, on le vit venir au village de son pas pressé… il n’était manifestement pas dans son assiette et gesticulait très fort en marchant…
Nous étions attablés au café de l’Avenir où Said Ruisseau le cafetier nous racontait pour la millième fois ses frasques de jeunesse à Alger auxquelles il ajoutait immanquablement un détail qu’il avait certainement oublié la dernière fois…
Après le « bonjour » d’usage, en français, comme de bien entendu, auquel Said Ruisseau répondit par procuration pour tout le monde par un « Bonjour ou Rahmatou Allah », on vit à sa fébrilité que François avait quelque chose d’important à dire…
Pour lui enlever sa gène, c’est Kader El Fartass le clandestin qui lui lança : « Alors Frassois… ti pas la bas avec les mergou (1) ?
Et François éclata…
« C’est un pays ça ! Hein !... cinq pièges volés !... je les ai posés au crépuscule d’hier à Zbabedj El Metrouk et ce matin, pour les relever qu’est ce je trouve hein ?... Rien ! Envolés les pièges ! et les mergou avec !... »
Kader El Fartass se voulant rassérénant : « si poussible un chacal Frassois… Balek il trouve le piège attrapi le mergou et il fi un casse-croute avec, qui sait ?...
Et François hors de lui…
« il a laissé sa signature votre chacal… moi je connais les crottes de Si M’Hamed (2) et je sais les distinguer de la m… des villageois… non seulement Ils m’ont pris les pièges et les grives mais ils ont piétiné les « marsa » (3) et sur l’une d’elles ils m’ont laissé un gros étron encore fumant et crois-moi, ce n’est pas du tout des crottes de chacal car c’est de loin plus puant ! »…




1- La grive porte le nom de « mergou » chez nous.
2- Si M’hamed : nom familier du chacal
3- Marsa : plan incliné sur lequel on pose le piège à ressort.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire