samedi 19 novembre 2011

EMPOIGNADE AU CAFE DE L’AVENIR

Dans mon village à la campagne, l’atmosphère au café de l’Avenir était électrique hier matin… Le Café l’Avenir fait face au café El Moustaqbal et est tenu par Said Ruisseau, dont le surnom, qu’il porte d’ailleurs avec fierté, lui a été décerné en reconnaissance pour la longue période de cafetier qu’il avait passée dans ce quartier de la capitale.
Un surnom qui lui servait de faire-valoir.
Hier matin, c’est Amar Tourcoing l’émigré, arrivé depuis quelques jours, qui avait jeté son dévolu sur le café l’Avenir pour y prendre son thé à la menthe.
Habituellement client d’El Moustaqbal, on ne sait quelle mouche l’avait piqué pour bouder Athmane Boudmagh et aller chez Said Ruisseau… C’est vrai que Athmane Boudmagh n’était pas très tendre avec ses clients mais au village on ne change pas de cafetier comme on change de chemise !
Said Ruisseau l’avait vu venir… Il avait juste hoché la tête à son « bonjour » qu’il lui avait lancé en parfait français sans même rouler le R…
Ruisseau n’aimait pas beaucoup Tourcoing… c’était un radin qui comptait vraiment ses sous et de plus, et ça c’était impardonnable, il était client du café d’en face.
Tourcoing très volubile commanda son thé qui lui fut servi illico car il n’y’avait pas foule au café. Il dut certainement regretter de s’être aventuré chez Said Ruisseau car il sentait qu’il lui inspirait une lourde antipathie et que le moindre mot déplacé pouvait lui valoir une volée de bois vert…
Said Ruisseau regardait du coin de l’œil son client matinal en enrageant de ne pouvoir lui reprocher de jeter son mégot ou sa chique sur le parterre car il le savait non porté sur le tabac à fumer ou à priser…
Sentant que l’atmosphère allait certainement dégénérer pour tout prétexte, Tourcoing laissa le verre de thé à moitié plein et tapota de la pièce de monnaie sur la table pour appeler le cafetier à venir se faire payer…
Said Ruisseau fit semblant de ne rien entendre car il estimait que l’interpeller ainsi était une atteinte à son orgueil…
Tourcoing l’appela alors de vive voix… Garçon !
Said Ruisseau qui semblait n’attendre que ça, accourut alors avec une rage apparente donnant à son visage un rictus très peu amène. Il se mit devant la table et, les mains sur les hanches, l’index tendu vers la face éberluée de Tourcoing, il l’arrosa de postillons en lui criant : garçon chez ton père ! hein ! Ou chez tes maitres de la bas ! hein !...
Tourcoing esquissa un sourire : « là bas chez nous c’est comme ça qu’il s’appelle le bougnat », dit-il en français comme pour s’excuser…
« Alors vas t’en là bas chez nous et appelle le cochon si tu veux ! »… répondit Said avec cet arabe dialectal savoureux qui permet de tout dire…
Il prit la pièce de 100 DA rageusement et de la poche ventrale de son tablier il rendit la monnaie.
Tourcoping prit le gros de cette monnaie et lui restitua les menues pièces, pensant acheter la paix avec ce cafetier impossible…
« Wachnou hadha ! » cria Said Ruisseau en le toisant avec dédain…
« Pourboire répondit Tourcoing en ne sachant quoi faire de sa main tendue…
« Djit nettolbek ? Allez va t’en ! et il l’agrippa par le col …
Sans l’intervention de Ammi Essaid Boucheneb qui rentrait sa vache qu’il faisait paitre de bon matin sur le talus du gazoduc, la situation se serait terminée par une belle empoignade.
Après un « Priez sur le Prophète et maudissez Ibliss », Ammi Essaid, tança sévèrement les deux hommes qui durent mettre fin à leur état de belligérance en marmonnant des menaces de représailles qu’ils savaient sans suites…
Plus tard, tout le village commenta l’incident… Si un institut de sondage avait existé au village, il aurait certainement montré que la sympathie villageoise penchait très fort pour Said Ruisseau…
D’ailleurs il reçut bien plus de clients que d’habitude et presque tous lui faisaient un presque indicible hochement de tête approbateur avant de quitter le comptoir…

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