29 mars 2011
Dans mon village à la campagne, un monument vient de s’écrouler : El Hadj Ahmed Errouji est mort… Il a été enterré tout à l’heure au cimetière de… mais qu’importe le lieu !... El Hadj Ahmed Errouji est né quelque part dans l’Algérie profonde entre 1910 et 1916… Il n’a connu ni jeu ni jeunesse, contraint qu’il était de s’arracher sa pitance car elle ne lui était pas donnée… Il a connu les guerres et leurs cortèges de misère, de douleur et de drames, il a subi tuberculose, paludisme, choléra et typhus, il a vécu les disettes, les séismes, les inondations, les sécheresses, les invasions de sauterelles, les tiques, les poux et les puces… Il a dû accepter l’arbitraire de l’armée d’occupation qui voyait en tout innocent canif un perfide yatagan, le sadisme du colon qui ne pouvait concevoir de sous son chapeau de feutre qu’un « khammas » en chapeau de paille puisse avoir une âme, il a subi le sadisme des bureaucrates qui savent que le paysan est allergique à la paperasse et qui en exigent une liasse pour chaque dossier, il a dû subir l’arrogance des « gens du parti », leur emphase imbécile, leurs discours creux et la menace de leurs index ouvrant l’œil, il a vécu l’incompréhension face aux rédempteurs barbus qui sont venus le faire douter de sa religion séculaire toute de simplicité, de sincérité et de discrétion pour lui enseigner une autre religion de vociférations, de m’as-tu-vu et d’intolérance … Il a connu la faim et ne l’a calmée qu’en rêvant de galette et d’oignon… il a connu le froid et ne s’est réchauffé qu’en pensant à de chaudes histoires d’été… Il a respecté le Ramadhan de trois ou quatre décembres, de trois ou quatre aoûts… Il s’est désaltéré à l’eau de source dans le creux de la main ou dans une louche de fortune en feuille de scille (forâane) car le robinet n'existait pas, ni la bouteille d'eau minérale…
Il aura peut-être tout admis, tout pardonné, tout compris, tout !... Mais il est certainement mort sans comprendre ce qui se passe chez ses petits-enfants qui, comme des hamsters ou des gnous, ont perdu tout discernement et dans des chevauchées suicidaires courent les yeux bandés vers les précipices en réponse aux appels des théologiens de la mort, des théoriciens de l’absurde ou des idéologues de l’infâme, ces semeurs de désespoir qui n’aveuglent les lucioles que pour mieux leur brûler les ailes…
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