samedi 19 novembre 2011

FOU, MAIS SACHANT RECONNAITRE SA PORTE !

Dans mon village, à la campagne, aux lendemains du 5 juillet 1962 nous étions tous Benbellistes… Nous nous convertîmes comme de bien entendu au Boumedienisme dès le 20 juin 1965 au petit matin et nous sommes tous Bouteflikistes au jour d’aujourd’hui car même si nous nous opposons entre nous, nous ne pouvons quand même pas nous opposer à notre président !...
Ben Bella et Boumediène nous ont bien marqués car ils savaient très bien discourir et nous fûmes tous volontaires pour rejoindre les maquis de l’Angola quand notre président mit un treillis et nous harangua sur les épreuves que connaissaient nos frères de Luanda sous la répression des portugais… C’est vrai que durant son discours, nous nous sommes permis de crier en chœur, un peu perfidement, derrière un Said Hamoud hilare : TAHIA TAMBOLA !... mais dans l’immense clameur qui s’élevait de la foule, personne n’avait remarqué que nous avions un peu déformé le slogan de circonstance…
En réalité, dans nos têtes, unionistes bien avant Kaddafi, nous concevions l’Afrique subsaharienne comme un seul grand pays où il y’avait d’un côté les bons : Amilcar Cabral, Lumumba, ou Sékou Touré qui avait su dire non et de l’autre, les mauvais : Tshombé, Ojukwu et un peu aussi ce Senghor qui se faisait plus français que les français…
Un évènement qui démontre un peu notre engagement révolutionnaire mérite d’être relaté.
Nous sommes en 1963. Ben Bella parade dans son col mao au sommet du hit-parade du zaïmisme. La population longtemps orpheline a enfin trouvé le grand-frère qui la rassurera et la protégera.
Ali El Postier nous est venu de Bordj Ghedir, Bordj El Emir Abdelkader, Bordj Bou Arreridj ou Bordj Ménaiël… Les versions villageoises diffèrent sur le nom précis de la ville mais se rejoignent sur le Bordj... C'est lui qui a remplacé Mme Trident à la poste du village. Mme Trident est repartie en France juste avant l'indépendance; la poste a été fermée et il fallait bien qu'elle ouvre à nouveau pour permettre aux émigrés d'envoyer de leurs nouvelles et de leur argent.
Le portrait du Zaim est collé sur tous les endroits où il peut tenir et El Moudjahid ne peut faire une édition sans y mettre une de ses photos.
Ali El Postier et monsieur Spinosi le directeur de l'école primaire se sont pris d'amitié. Ils n'arrêtent pas de se parler à voix basse en riant sous cape. Le manège n'a pas échappé aux villageois qui, entièrement acquis aux soupçons de complotite (le maquis du FFS faisant partie de l'amère réalité de cette époque) ne pouvaient penser que les deux hommes pouvaient se raconter des histoires tout simplement... grivoises.
C'est Omar Trafic qui s'aperçut du crime commis par Ali El Postier... Il vint l'annoncer aux écoliers... "Ali El Postier a craché sur le journal qui contient la photo de Ben Bella devant Spinosi !"...
Les élèves furent pris d'un terrible vent de révolte; les adultes s'en mêlèrent et le village vécut des scènes dignes du KKK...
Les gendarmes durent intervenir pour évacuer Ali El Postier et Spinosi et empêcher leur lynchage par la foule surexcitée.
Spinosi revint à son école le lendemain; il était admissible qu'il ne vouât pas du respect pour notre président car ce n'est pas le sien... Mais Ali El Postier ne remit plus les pieds au village et on ne sut jamais ce qu'il était advenu de lui... Il ne nous intéressait d’ailleurs pas de le savoir, l’essentiel pour nous c’est que nous avions accompli notre patriotique devoir de citoyens…
Mais Ben Bella n’était pas au bout de ses peines…
Quelques jours plus tard, un homme au front dégarni, à la moustache bien évidente se fit voir au village…
Il avait le port droit et traversait les rues comme un militaire. On sut que c’était un émigré qui habitait un hameau des hauteurs… On l’avait fait rentrer de France car il avait perdu la raison. Il s’appelait Amar Aissa…
Il commença par organiser à lui seul un vrai barrage routier à l’entrée ouest du village, la plus fréquentée car c’est de là que nous sortons pour aller à la ville et c’est naturellement de là que nous rentrons quand nous en revenons…
Il était armé d’une planche qu’il avait accrochée en bandoulière comme un fusil et contrôlait les rares véhicules sous l’œil intrigué et amusé des villageois.
S’il s’était arrêté là, nous n’aurions rien trouvé à redire et l’autorité aussi, car, en ces temps là nous étions un peu habitués aux contrôles fantaisistes… Fatima El Mahboula nous donnait en effet à assister chaque jour à sa tournée des épiceries et des étals de fruits et légumes. En les sommant de lui montrer leurs documents légaux, les commerçants s’exécutaient et lui tendaient n’importe quel bout de papier qu’elle examinait attentivement puis qu’elle mettait dans l’échancrure de la poitrine… Elle repartait toujours après un « Akhdam, Allah I’3awnek ! » (1) après avoir reçu sa boite de fromage ou sa gousse d’ail… comme quoi les contrôles n’ont pas changé depuis ce temps là !
Amar Aissa ne s’est pas contenté de faire le gendarme, il s’est fait tribun… Armé de sa mitraillette en bois, il est monté un jour sur le toit de l’ancienne église transformée en école et il a harangué la foule qui s’était massée sur la route… « Ben Bella leur a vendu de la paille ! » criait il en faisant des amples gestes de la main…
La Kasma du Parti qui ne pouvait tolérer pareille subversion appela l’autorité… Celle-ci, les yeux abrités derrière des lunettes noires vint sur une 403 noire elle aussi. Ses hommes firent descendre le tribun de son perchoir et l’emmenèrent en lui expliquant qu’il aurait à demander directement au Président les raisons de sa collusion avec la force étrangère à laquelle il aurait cédé la bonne paille nationale.
Si on n’eut plus aucune nouvelle de Ali El Postier, on vit par contre revenir Amar Aissa au village… Il ne portait plus de fusil en bois en bandoulière mais une canne à la main. Il marchait en se parlant à voix basse et on ne le revit plus faire ses faux barrages à l’entrée Ouest du village, ni à l’entrée Est d’ailleurs, il n’est plus jamais monté sur un toit pour faire le tribun et n’osait plus prononcer le nom du Zaim…
Ce qui faisait faire aux villageois un clin d'oeil malicieux et dire: « Mahboul ou ya3raf bab darou »(2)


1- Travaille et que Dieu te vienne en aide !
2- Fou mais sachant reconnaître sa porte

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