Dans mon village à la campagne, il n’y a pas bien longtemps, l’eau parvenait jusqu’à l’abreuvoir municipal et les bêtes pouvaient s’y désaltérer sans trop choquer ni déranger. En ces temps là, Salah El Gouzmir qu'on appelle affectueusement "Lamoniak" pour sa causticité, avait un âne.
Un âne qui était son souffre douleur et qu'il considérait comme une bourrique.
Et un âne qu'on considère comme une bourrique n'attend que son jour pour se venger de toutes les brimades qu'il a subies.
Le jour de l'âne vint quand, par un beau jour de printemps, Lamoniak le mena à l'abreuvoir municipal.
Lamoniak montait son âne, même quand il le menait à l'abreuvoir et n'arrêtait pas de lui piquer cruellement le poitrail de ses pieds de mules chaussés.
L'âne trottinait comme il pouvait, mais on le sentait au bout de l'exaspération.
Sans descendre, Lamoniak se pencha pour enlever le mors à l'âne afin de lui permettre de boire à son aise. C'est l'occasion que choisit notre preux animal pour administrer sa leçon à son maître trop peu miséricordieux. Il lui prit la main entre ses grosses incisives et, retroussant ses babines, il serra autant qu'il put.
Le pauvre Lamoniak, se trouvait dans une position où il ne pouvait ni griffer, ni gifler, ni donner des coups de poings à l'aide de sa main valide avec laquelle il s’agrippait pour ne pas tomber. Il lança un cri de douleur décuplé par la colère qui fit sortir sur le perron des cafés et des épiceries toutes les bonnes gens; et on entendit tout le village s'esclaffer d'un formidable éclat de rire.
"- Lâche-moi, sale bête !" criait l'infortuné lamoniak...
Puis, ne trouvant aucune autre alternative, il prit l'oreille de l'âne entre ses dents et la serra de toutes ses forces en grommelant:
"Tetlag netlag !, Tetlag netlag !...*
L'âne se mit alors à ruer et Lamoniak, la main dans sa gueule, l'oreille dans la bouche, effectua un grotesque rodéo sur la place du village avant de se faire éjecter sur la caillasse et de recevoir un paire de horions sur le derrière.
L'âne lança un formidable braiment et s'enfuit à toute vitesse vers les champs en ruant d'allégresse.
Il reçut bien sûr la tannée; mais si la tannée devait tuer les ânes, il y a bien longtemps qu'ils auraient subi le sort des dinosaures.
A compter de ce jour, on ne vit plus Lamoniak monter sur son âne en le menant à l'abreuvoir mais le suivant à distance respectueuse en tenant un bâton dissuasif..
*- tu lâches, je lâche !
*Hécatombe : En Grèce antique, sacrifice religieux de cent bœufs.
NDLA: Ce texte légèrement retouché à été publié dans El Manchar en son temps et sur le blog: www.4AAAA.tchatcheblog.com
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