samedi 19 novembre 2011

LE TALISMAN DU DR HABBOULA


Dans mon village à la campagne, nous avons un dispensaire… Nous avons aussi une maternité, construite à l’époque où Abdelhamid Brahimi était planificateur en chef du gouvernement. Cet homme qui a osé dire « hachakoum » en parlant des oignons, n’a pas su quel sacrilège il proférait car il ne savait certainement pas qu’entre l’oignon et nous il y’avait plus qu’une relation d’hommes à légumes, et quand aujourd’hui nous voyons sur les chaines de TV du Golfe sa grosse tête en oignon, affublée d’une barbe mal taillée, nous zappons très vite, d’abord parce qu’il est vraiment antipathique avec sa manière de parler comme s’il avait un bonbon dans la bouche, ensuite parce qu’il ne dit rien de sensé et enfin parce que nous ne lui avons pas pardonné et nous ne lui pardonnerons jamais son offense faite à notre légume fétiche…
Nous ne lui en voulons pas aussi d’avoir planifié son fameux et fumeux PAP qui nous a rendus faussement riches en nous gavant de superflu…
Nous ne lui en voulons pas trop d’avoir construit une maternité par Douar… Il vaut mieux gaspiller l’argent du peuple dans des infrastructures inutiles que de les fourrer dans les comptes suisses…
Parce que notre maternité n’a jamais ouvert ses portes aux femmes enceintes… Ses salles sont toujours utilisées comme dépôts par l’infirmier en chef de notre dispensaire qui y entrepose ses ruches car notre infirmier en chef est aussi apiculteur à ses heures perdues…
Le dispensaire est généralement tenu par trois ou quatre infirmiers très sympathiques qui font ce qu’ils peuvent pour vacciner les bébés, changer les pansements des blessés ou administrer la penicilline aux malades des angines…
Pour se faire ausculter, nos patients avaient le choix entre aller se faire délivrer un sac de médicaments par le médecin privé de la ville ou attendre le mardi, quand il n’est pas férié, pour se faire examiner par le médecin du beylik qui vient y officier.
Ce médecin, parlait tout seul en marchant et faisait de grands gestes sans qu’on sache à qui… il avait une vieille quatrelle qu’il réparait dans la cour de l’infirmerie mais personne ne pouvait douter de ses connaissances en médecine et de sa faculté de guérir les maux du peuple. Il n’avait vraiment pas la gueule de l’emploi mais l’essentiel pour nous, c’est qu’il nous examinait gratuitement et nous donnait une ordonnance avec laquelle nous pouvions acheter nos antibiotiques et nos antalgiques…
Il ne portait pas de gants et ses mains et sa blouse blanche étaient toujours noirs de cambuis car il avait continuellement à faire avec les mécaniques de sa quatrelle…
Un jour il reçut la vieille Oumelkhir, la mère de Mouh El Gort, le négociant en paille et foin… Elle était souffrante depuis le Jeudi d’avant mais avait refusé d’aller se faire ausculter chez le médecin privé car ce chenapan de Kader El Fartass, le clandestin, était en froid avec Mouh El Gort pour une autre histoire de dominos…
Elle patienta un bon quart d’heure, attendant que le Dr Habboula (c’est ainsi que nous le surnommions) sortît de sous sa quatrelle…
Il l’a vit de sous la voiture et couché sur le dos, en faisant à sa tête une gymnastique difficile, il lui dit : « wach th’awsi ya el adjouz ? » (que veux tu, la vieille ?) en articulant avec peine ses mots car il devait soutenir de ses bras le lourd triangle de la roue…
« Djit n’dawi » (je suis venue me faire soigner) répondit la vieille Oumelkhir…
Le médecin s’extirpa avec peine de sous sa voiture, il essuya ses mains sur son tablier et debout face à la vieille femme, il s’enquit de ce qui la faisait souffrir…
Il finit par rentrer à la pièce nue qui lui servait de cabinet d’auscultation, lui rédigea une ordonnance en faisant attention à ce que le cambuis ne la tâche pas trop et lui ordonna de la prendre sans la lui tendre…
« Wach n’dir biha ?» (que dois-je en faire ?) lui dit-elle ingénuement…
Exaspéré par cette question qu’il jugeait totalement hors de propos mais surtout fatigué par son cardan trop récalcitrant, le Dr Habboula lui répondit : « Bakhri biha ! » (fais en des fuligations !) et il sortit pour se jeter à nouveau sous sa quatrelle afin de continuer sa séance de mécanique…
Il examina d’autres malades dans un va et vient continu entre son bureau et le parterre heureusement goudronné sur lequel il stationnait sa quatrelle et le soir, les patients expédiés et le cardan réparé, il rentra chez lui de l’autre côté de la montagne où il habitait.
Le mardi d’après il revint comme de bien entendu pour réparer encore une autre panne et examiner quelques patients…
Cette fois-ci la panne se situait au niveau de la pédale d’embrayage et c’est accroupi qu’il essayait de la réparer et se contorsionnant pour pouvoir y accéder des mains et des yeux…
Et c’est entre deux jurons qu’il aperçut la robe violette qui couvrait les pieds de sandalettes chaussés de la vieille Oumelkhir… Il remonta du regard le corps déssechée de la vieille femme et quand ses yeux croisèrent les siens, d’un air peu amène il lui dit : « C’est encore toi ! »
Elle répondit avec son ingénuité habituelle : « Djit n’dawi ya wlidi ! » (je suis venue me faire soigner, mon fils ! »
Arrivé au bureau-cabinet, debout, les mains posées sur le dossier de la chaise, le Dr Habboulla demanda à la vieille Rommana : « wach bik thani ? » (qu’as-tu encore ?)
Et elle de répondre… « Walou ya Wlidi … Bakhart b’herzek ou fadni bezzef loukan tzidli wahed ! » (Rien mon fils… c’est ton talisman, j’en ai fait des fumigations et ça m’a soulagé… si tu veux bien m’en donner un autre !)

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