Dans mon village à la campagne, il y’avait des gens qui ne pouvaient concevoir le repos que comme un gaspillage de temps, d’argent et d’énergie.
Moh Errabah était l’un d’eux.
Déjà, tout enfant, il accompagnait son père jusqu’à la mer distante de 40 km par chemins de traverse, pour aider les pêcheurs à décharger le produit de leur pêche, moyennant quelques francs juste suffisants pour s’acheter le pain à manger durant la journée…
Il partait très tôt, trottinant derrière son père, qui accomplissait la prière de l’aube presque à l’arrivée au port de pêche.
Il a grandi dans le travail, par le travail et pour le travail, ne rechignant jamais à troquer la truelle contre la fourche pour échanger celle-ci contre le marteau…
Il avait appris à tout faire tout seul. Soigner sa vache, crépir ses murs ou réparer son démarreur, biner le jardin ou scier son bois, sortir ses vaches ou soigner ses piments…
Un jour qu’il surélevait un muret autour de chez lui à l’aide de sa vielle compagne qui lui tendait les briques, alors qu’il était à la 5e marche d’une échelle, il se déséquilibra et tomba…
Il réussit à amortir sa chute du plat de la main droite et, avec le bruit de l’échelle et de la truelle qui étaient tombées elles aussi, il ne perçut pas un autre craquement…
Il se releva, sa femme remit en place l’échelle et il y remonta sans grand efforts en usant de sa main gauche car il sentait la droite un peu douloureuse.
Le buste arrivé à hauteur du muret, il tendit la main pour prendre la truelle que lui tendait sa femme. Il ne put refermer ses doigts sur le manche… Il s’en étonna beaucoup plus qu’il ne s’en inquiéta…
Il comprit, désemparé que sa main était cassée à hauteur du carpe…
Il grommela un juron contre Ibliss et le mauvais sort qu’il lui faisait subir puis descendit, et la main gauche tenant la droite comme un enfant assisté supporterait un papa malade et dont il craindrait la perte du soutien, il alla se faire examiner puis plâtrer à l’hôpital de la ville. Il exigea de ses enfants qu’ils n’informassent personne car il savait qu’au village peu de marques de compassion étaient sincères, que certains villageois allaient trouver curieux et se apprécier sournoisement le spectacle de « lion boiteux » qu’il offrait, et surtout aussi parce qu’il ne pouvait admettre qu’on puisse penser qu’il pourrait, lui, Moh Errabah, avec sa force et sa dextérité, tomber « comme un sac »…
Il refusa l’hospitalisation et revint chez lui…
Le soir-même il se remit à la tâche… Devant le difficile exercice qu’il contraignait sa main gauche à faire toute seule, il eut pour Si Tahar, le seul intime qu’il consentait à accepter de voir dans son état et qui, du bas de l’échelle l’implorait de maudire Ibliss et de descendre car il n’avait plus que la main gauche pour soutien, il eut ces mots :
« Elle apprendra à travailler, bla Djedd’ha !... elle a toujours compté sur sa sœur, aujourd’hui c’est son tour de la prendre en charge ! »
Et il continua à monter son muret…
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