Dans mon village, à la campagne, avant qu’on n’inventât les mesures d’insertions des jeunes diplômés, l’emploi de jeunes, les TUP-HIMO et autres moyens de faire semblant de payer les gens en faisant semblant de les faire travailler, nos villageois devaient faire preuve de beaucoup de vaillance pour s’assurer leur pain quotidien… et leurs parties de dominos.
L’émigration externe n’étant pas facile et l’émigration interne inopérante depuis que la Mitidja a été transformée en îlots résidentiels, elle qui occupait nos parents durant au moins la moitié de l’année, nous n’avions d’autres choix que d’attendre les petits travaux saisonniers d’une agriculture pas aussi mécanisée que celle d’aujourd’hui mais tout de même beaucoup mieux prise en charge.
Le Comité de Gestion tant décrié aujourd’hui et qui n’a perdu hommes et âmes que par l’effet des restructurations des stratèges du ministère, faisait vivre les gens de chez nous en travaux des champs : fenaisons, moissons, battage, bottelage… sans compter la cueillette des olives, les vendanges, le ramassage des amandes etc…
Les recrutements, sans distinction d’âge, se faisaient chaque matin au bureau du comité et les travailleurs étaient embarqués sur les remorques des tracteurs à pneus pour être répartis sur les différents travaux, surveillés par des permanents du comité. C’est Belgacem Kopa, le gardien de but de l’équipe du village qui assurait le pointage… Celui-là, personne ne sait pourquoi il fut affublé du nom de cet attaquant alors qu’il n’était jamais d’attaque…
Ahmed Eddeffaf, membre de la troupe de la zorna locale qui n’a jamais réussi à se faire du succès pour le souffle court de Salah « Un-mètre-cinq », le trompettiste, était un des réguliers demandeurs d’embauche.
Mais depuis quelque temps, Ahmed Eddeffaf se voyait recalé chaque matin par Gargatou le Président… Une histoire de domino mal terminée avait crée entre les deux hommes une grande animosité.
Un matin de mai, Ahmed Eddeffaf fut encore renvoyé… C’était la période des fenaisons et les faucheurs en avaient gros à faire car les foins, cette année là furent particulièrement abondants…
En bas, dans la grande plaine de Ain El Djem’ba, Ils s’ étaient mis en ligne d’attaque et reprenant en chœur les chants de Hammana, ils montaient à pas égal en laissant derrière eux des rangées de foin coupé…
La cadence allait bon train et l’écho leur renvoyait leur chant de manière très entrainante…
Et c’est au repos de onze qu’ils se rendirent compte que l’écho continuait tout seul à chanter de derrière le monticule, pas très loin de Ghar Eddhiba.
Un écho qui continue à se produire tout seul intrigue même un Président de Comité de Gestion et Gargatou résolut d’aller voir de quoi il en retournait.
Arrivé au sommet du monticule, il mit sa main en visière et que vit il ?
Ahmed Eddeffaf, tout en bas, s’échinait de la faux, tout seul, en chantant les airs de Hammana qu’il connaissait par cœur…
Gargatou était très en colère… Il descendit à grands pas et arrivé devant le faucheur solitaire, les mains sur les hanches, il le toisa d’un regard peu amène : 0« Que fais-tu en nos terres ! » lui dit-il
« Je fauche ! » lui répondit tout simplement Ahmed Eddeffaf en reprenant ses chants et son vaste mouvement de faux…
« Qui te paiera pour ton travail » lui dit Gargatou de plus en plus énervé.
« Je fauche, fi sabil Allah !(1) » lui rétorqua Ahmed Edeffaf…
Quelque temps plus tard, la troupe de faucheurs menés par Hamana vit au sommet du monticule Gargatou accompagné de Ahmed Eddeffaf.
Il fut intégré et accepté de bonne grâce car ils avaient tous ressenti, au fond du cœur, une grosse sensation de pitié pour cet homme qu’ils avaient laissé de bon matin désemparé, les bras ballants, le regard perdu au dernier carrefour du village…
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