
Dans mon village à la campagne, nous vouons un véritable culte à notre pain quotidien et si nous devions nous re-doter d’une devise, nous ne choisirons certainement ni « Liberté, Egalité, Fraternité » comme ces français qui savent si bien se mentir et mentir aux autres, ni « Dieu, la Patrie, le Roi » de nos frères jordaniens qui n’ont pas d’autres alternatives… Ni « Dieu, la Patrie, la Révolution » de nos frères yéménites qui auraient pu abréger cette longue liste par un seul mot : « quat »…
Nous adopterons bien « Touche moi si tu l’oses ! » de la principauté d’Andorre car ça nous va très bien mais nous avons déjà « La Révolution du peuple et vers le peuple » que nous avons transformée en « par et pour le peuple » … Et si le printemps arabe devait un jour nous faire basculer dans le grand cirque comme nos frères libyens, égyptiens, tunisiens, yéménites ou syriens et qu’il nous était permis de changer de devises, nous, au village, nous proposerons certainement celle en laquelle nous n’avons jamais cessé de croire : « Dieu, les Parents, la Galette »…
Parce que chez nous la galette est plus qu’essentielle et les statistiques que nous dévoile toujours Ouyahia avant de procéder aux hausses démoniaques sur le prix de la semoule disent bien que malgré notre petit nombre, nous sommes les premiers importateurs au monde de blé tendre!...
C’est vrai que si d’autres peuples marchent à la trique, nous, nous marchons à la baguette !...
Nous sommes de grands mangeurs de pain, c’est indéniable et ça peut se vérifier aisément par un simple tour dans notre village, à l’aube… On peut y voir les grandes nasses de pain déposées au jour naissant devant les épiceries encore fermées par les boulangers aussi matinaux que les laitiers sous d’autres cieux, sans crainte des chiens et chats, redevenus carnivores avec tout ce qu’ils trouvent dans nos poubelles…
Le pain, nous en mangeons et beaucoup… et ça nous fait même des complexes devant les étrangers et depuis quelques temps devant nos frères en gastronomie des villes de l’algérois…
Nous en mangeons tellement que quand l’un de nous rentre dans un restaurant, il n’est pas certain, avec le prix actuel de la baguette et l’habitude de fournir le pain à volonté et gratuitement, que le restaurateur trouve son compte...
L’histoire que je vais vous raconter est arrivée un jour à Dda Amar Boulhouadjeb et c’est de lui-même que je la tiens.
Un jour donc, le bon vieux plaisantin de Dda Amar, en allant vendre de la paille en bottes sur son camion à El Harrach, avait pris à son bord, histoire de leur faire changer d'air, Salem Boussendara et Athmane Boukorracha, tous trois avaient la moustache imposante et la bedaine proéminente. C’était de gros mangeurs qui pouvaient honorer à eux trois la plus imposante djefna(1) de couscous…
S'étant fait son foin en vendant la paille, Dda Amar invita ses compères dans une des innombrables gargotes du marché… Le temps qu’arriva le garçon, les deux paniers de pain étaient déjà expédiés… Devant son regard étonné, Dda Amar lui fit un clin d’œil complice et ce dernier prit la commande non sans ravitailler la table de deux autres paniers debordant de morceaux de pain.
Quand il revint avec ses trois plats fumants de loubia piquante, il ne crut pas ses yeux en voyant que les deux paniers s’étaient encore vidés… Il regarda au pied des trois hommes pour voir si ce n’était pas dans un sac perfide que ces messieurs déposaient le pain et n’aperçut que leurs chaussures poussiéreuses…
Il ramena deux autres paniers et eut droit au même clin d’œil de Dda Amar qui commanda, comme de bien entendu, les bouteilles de sélecto de Hamoud Boualem sans lesquelles la loubia n'est jamais ce qu’elle doit être…
C’est Dda Amar qui se leva de table pour ramener les deux bouteilles et en les prenant des mains du serveur, il lui chuchota quelques mots à l’oreille…
Celui-ci ramena encore deux paniers de pain et les trois hommes les engloutirent en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire…
Repus, ils se levèrent pour sortir… Dda Amar paya la note comme de bien entendu et, au passage de ses deux compères devant le caissier, ce dernier, l’air attendri leur lança : « El Hamdoullah aala s’rah’koum ! » (Dieu soit béni pour votre libération)…
Les deux hommes le regardèrent avec étonnement lui bénirent ses parents en chœur et en effectuant de manière parfaitement synchronisée une très légère révérence…
Quand ils sortirent de la gargote, Amar Boussendara ne put s’empêcher de rire de cette nouvelle manière algéroise de dire « b’sahetkoum » (2) à des gens qui s’essuient la bouche après avoir mangé…
Dda Amar, tout en marchant, leur dit en contenant un gros rire : « Non mes amis… les algérois n’ont pas changé de formule… celui là vous a souhaité bonne libération parce que j’ai dû, pour justifier votre boulimie panivore, lui expliquer en lui chuchotant à l’oreille que je venais de vous récupérer à votre sortie de 4 hectares (3)… »
1- Djefna… le plus grand plat en terre cuite… la Rahhaliya est moins imposante… juste de quoi contenir 4 ou 5 gasaa (assiette).
2- Avotre santé… Se dit à quelqu’un qui vient de manger, de boire ou d’éternuer.
3- « 4 hectares » : célèbre prison d’El Harrach. L’histoire s’est déroulée à une période où cette prison n’était pas un hôtel de 4 étoiles.
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